Un caractère d’étrangeté

Jean-Pierre Han

10 décembre 2018

in Critiques

La Réunification des 2 Corées de Joël Pommerat. Mise en scène de Jacques Vincey. Spectacle créé à Singapour, donné en France au CDN de Tours puis à la MC 93. En cours de tournée.

Cette Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, traduite en anglais par Marc Goldberg, mise en scène par Jacques Vincey et interprétée par des comédiens de Singapour, présente un caractère d’étrangeté et ne vaut, à vrai dire que par cette étrangeté. Le dispositif, en tout cas, permet à Jacques Vincey de faire montre d’un beau et très maîtrisé savoir théâtral. Mais reprenons, le texte de Joël Pommerat, qu’il avait lui-même créé en France en 2013, vaut ce qu’il vaut ; c’est une variation mineure sur le thème de l’amour, ou plus exactement sur l’impossibilité d’accomplissement amoureux de deux êtres, sur l’impossibilité des deux Corées à se réunir. Il est composé d’un certain nombre de saynètes dont on pourrait à loisir multiplier le nombre, une sorte de « ronde » infernale en somme. Que Jacques Vincey à la suite de concours de circonstances particuliers ait fini par choisir ce texte (ou ces textes) peut se comprendre : au départ il avait été choisi pour faire travailler des comédiens singapouriens dans le cadre d’un stage, et effectivement le texte de Pommerat s’y prête qui permet de jouer de toute une gamme de sentiments. Pas plus peut-être. Mais Jacques Vincey qui l’admire pour son tressage serré et pour sa sensible acuité s’y est donc directement confronté à l’invitation de Ong Keng Sen, le directeur de la compagnie TheatreWorks implantée à Singapour. Le déplacement de la langue française à la langue anglaise opéré le plus fidèlement possible par Marc Goldberg créé, comme lors de toute traduction certes, un premier décalage à cette précision près que l’anglais n’est jamais que l’un des quatre langues officielles de Singapour et que l’anglais qui y est parlé est particulier. Le texte pris en charge avec autorité par les neufs acteurs singapouriens les plus connus de cet agglomérat d’îles qu’est Singapour semble dès lors posséder des accents particuliers. D’où le caractère d’étrangeté dont j’ai fait mention plus haut. Car dans la mécanique bien huilée de la représentation, tout va de décalage en décalage. Pourtant Jacques Vincey ne semble pas se poser de questions et y va carrément avec ses interprètes réunis autour (ou derrière) d’un plateau, une sorte de ring où vont se dérouler les combats qui n’ont pas grand-chose d’amoureux, à moins que l’amour ne soit justement cette lutte infinie devant désigner un vainqueur. Les comédiens attendent sagement leur tour avant d’entrer en scène, se changent à vue d’œil… ; rien là que l’on n’ait déjà vu, sauf qu’ici la circulation est réglée au millimètre près, et que tout se joue sur le plateau dans une parodie de rituel en solo, à deux, trois, quatre comédiens, voire plus…  Pour aussi réussi que soit le travail de Jacques Vincey on l’attend sur des œuvres plus ambitieuses.

Jean-Pierre Han