Une belle gestion du vide

Jean-Pierre Han

30 octobre 2018

in Critiques

Quasi niente (Presque rien). Projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini. Festival d’automne. Théâtre de la Bastille. Jusqu’au 31 octobre à 20 heures. Tél. : 01 43 57 41 14. www.theatre-bastille. com

Le titre du spectacle proposé par Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, Quasi niente (presque rien), annonce d’entrée de jeu son registre de travail proche du néant, mais laisse tout de même aux concepteurs du projet une superbe ouverture. Tout réside dans le « quasi » ou le « presque » : petite nuance qui leur permet d’avoir une marge de manœuvre dont ils se font un plaisir extrême de profiter au maximum. Et puisque l’on est dans les effets d’annonce, ils ajoutent que le spectacle est librement inspiré du film de Michelangelo Antonioni, le Désert rouge, un chef-d’œuvre. Intelligente et habile invocation alors que l’on pourrait légitimement se poser la question de savoir si nous aurions pu établir une telle correspondance sans elle. Car le duo, sur scène, prend ses aises par rapport au film et développe son histoire quasiment ailleurs, autrement. Tout au plus aurons-nous quelques notes guillerettes de la musique du film due à Franco Fanigiulo, s’élevant en ouverture du spectacle, puis intervenant discrètement ici et là. Pour le reste… Il y a effectivement la reprise de la thématique du film décrivant les errements du personnage interprété par Monica Vitti, se détachant petit à petit des choses de la vie, et l’on revoit les images de la comédienne déambulant ici et là à pas lents, quasiment en pleine viduité. Sur le plateau de Quasi niente, il est aussi question de femmes, personnage de Monica Vitti démultiplié et montré à trois âges de son existence, à soixante, à quarante puis à trente ans. Elles sont ainsi trois (dés)incarnées par Daria Deflorian elle-même, la sexagénaire, Monica Piuseddu, la quadragénaire, et Francesca Cuttica, la trentenaire, absolument extraordinaires dans leur façon d’être sur un plateau quasiment nu où seuls trônent un vieux fauteuil récupéré dans la rue et une vieille armoire… Nous sommes dans le plein de la dépression, décrite avec une sorte d’auto-ironie ou d’amère conscience ; l’humour n’est pas absent de ce « ballet » dans lequel les hommes (ils sont deux) sont quasiment relégués à des rôles de figuration. C’est dans les riens de la vie, ceux qui finissent par faire les grands tout, qu’opèrent Daria Deflorian et Antonio Tagliarini et c’est tout à fait extraordinaire d’intelligence et de finesse.

Jean-Pierre Han