FESTIVAL D'AVIGNON IN

Jean-Pierre Han

21 juillet 2018

in Critiques

Tartuffe revu et corrigé

Tartiufas de Molière. Mise en scène d’Oskaras Korsunovas. Opéra Confluence jusqu’au 21 juillet à 18 heures. Tél. : Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Le monde est ainsi fait qu’il est singulièrement difficile voire impossible de s’extirper du réseau de contradictions dans lequel nous sommes englués. Voyez le metteur en scène lituanien Oskaras Korsunovas qui n’a eu de cesse durant tout son parcours de fustiger la réalité de la société de son pays, et qui cependant y est très largement honoré. Sa réputation s’étend d’ailleurs depuis longtemps bien au-delà des frontières de son pays – il a notamment reçu le Prix Europe des nouvelles réalités théâtrales et est régulièrement invité au festival d’Avignon… Dans sa volonté de dénoncer les maux de notre temps s’emparer du Tartuffe de Molière était pour ainsi dire pain béni pour lui ; il aurait d’ailleurs tout aussi bien pu prendre le Dom Juan du même Molière dans lequel le « grand seigneur méchant homme », dans une tirade célèbre, stigmatise l’hypocrisie, ce vice à la mode qui passe pour vertu… Korsunovas aurait également pu mixer un certain nombre de textes de Molière, bref réaliser une sorte de montage, ce qui n’aurait nui en rien à son travail, puisque son Tartuffe (il aurait été plus juste de préciser que c'était d’après Tartuffe) se permet et assume de grands écarts avec l’original. Au point que la fin est inversée puisque c’est Tartuffe qui triomphe. Pour le reste Korsunovas dans un beau décor de Vytautas Narbutas représentant un labyrinthe végétal qui ne sert malheureusement pas à grand-chose, en prend à son aise, toujours avec une belle maîtrise, et nous livre une mise en scène, elle aussi très à la mode du jour, avec vidéos, adresses et clins d’yeux appuyés des comédiens, par ailleurs excellents, au public et autres pirouettes du genre, jeux et numéros gratuits qui lorgnent délibérément vers le cabotinage, théâtre dans le théâtre avec passages en coulisses, etc. C’est parfois drôle même si cela nous éloigne de la réalité du texte. On le regrette d’autant plus qu’il y a parfois de belles intuitions : le ménage à trois entre Tartuffe, Orgon et Elmire, cette dernière n’hésitant pas à provoquer sexuellement Tartuffe… Tout cela pour aboutir à la scène finale (c’est son discours et son message) : Tartuffe, jusque là petit bonhomme effacé, montant sur une estrade et haranguant la foule en effectuant le salut nazi.

Jean-Pierre Han