FESTIVAL D'AVIGNON IN

Jean-Pierre Han

20 juillet 2018

in Critiques

Vertige poétique

Léonie et Noélie de Nathalie Papin. Mise en scène de Karelle Prugnaud. Chapelle des Pénitents blancs jusqu’au 23 juillet, à 11 h et 15 h. Tél. : Tél. : 04 90 14 14 14. festival-avignon.com

Enfin un souffle de poésie dans cette édition du Festival qui en avait un urgent besoin. Il vient par la grâce d’un spectacle destiné à un jeune public, ce qui est encore plus appréciable. Le texte de Nathalie Papin aborde de front la thématique de la gémellité étrangement absente dans toutes les analyses concernant Thyeste de Sénèque, le spectacle prétendument phare de l’édition de cette année. Soit les jumelles monozygotes Léonie (Daphné Millefoa) et Noélie (Justine Martini), 16 ans au moment où les spectateurs les saisissent sur le toit d’un immeuble puisque l’une d’entre elles (laquelle ?) est stegophile, alors que l’autre préfère escalader la montagne des mots que recèlent les dictionnaires dont elle apprend tous les mots et leurs définitions. Un duo aussi étrange que troublant. Les deux, en effet, ne feraient-elles qu’un ? D’une famille plus que modeste, elles n’ont qu’un cartable pour deux, une paire de chaussure pour deux et ne fréquentent donc l’école qu’un jour sur deux… Curieuse manière de prêter attention à l’autre qui est pour ainsi dire soi-même ; nous sommes en plein solipsisme et l’on voit bien ce que le théâtre qui passe son temps à ne parler que de lui-même dans une mise en abîme perpétuelle peut tirer de ce type d’aventure. Karelle Prugnaud qui s’est emparée du texte de Nathalie Papin à bras le corps et avec une farouche énergie y ajoute sa touche et lance sur le plateau (sur les plateaux) deux freerunners, qui doublent pour ainsi dire la personnalité des jumelles ; ils virevoltent sur l’entrelacs de toits imaginé par Thierry Grand, glissent, sautent, disparaissent pour réapparaître un peu plus loin. Doubles de adolescentes, il sont eux-même pour ainsi dire jumeaux et portent le même nom de Mattias ! D’un extraordinaire souplesse ils nous mènent dans des contrées que nous n’avons pas l’habitude d’arpenter. C’est fascinant et pour mieux nous en persuader Karelle Prugnaud a filmé avec Tito Gonzalès-Garcia quelques représentants du monde de la réalité la plus banale et la plus dérisoire aussi, professeur, avocat, agent de sécurité : Claire Nebout, la mère des jumelles, Bernard Menez en professeur, Yann Colette en juge et Denis Lavant en agent de sécurité sont impayables. Car par-delà ses qualités de poésie pure, Léonie et Noélie navigue allègrement dans l’univers de l’extravagance et de l’humour, ce qui ne l’empêche pas de fouailler au plus profond de nos esprits et de nos corps.

Jean-Pierre Han