FESTIVAL D'AVIGNON OFF

Jean-Pierre Han

18 juillet 2018

in Critiques

Une leçon de vie

Rosa Luxemburg Kabarett (J’étais, je suis, je serai) de Viviane Théophilidès. Mise en scène de l’auteur. Théâtre des Carmes, jusqu’au 25 juillet à 16 h 25. Tél. : 04 90 82 20 47.

Il ne fait guère de doute que Viviane Theophilidès et ses camarades de plateau (l’expression prend ici tout son sens) n’a pas dû réfléchir longtemps avant de placer son portrait de Rosa Luxemburg, et en opérant une petite contraction de temps, sous le signe du cabaret berlinois, lequel prenait son essor au moment où la militante socialiste était assassinée en 1919 lors de la répression de la révolte spartakiste, juste après la fondation du parti communiste allemand à laquelle elle participa activement. Belle idée en effet, allant presque de soi en tout cas d’une réelle justesse, et qui permet à la metteure en scène d’évoquer notamment la figure de Brecht (on songe aussi à Karl Valentin). Belle idée lui permettant aussi de revendiquer l’esthétique qu’elle a mise en place dans la salle du théâtre des Carmes où le spectacle se donne ; on songe à André Benedetto, le créateur de ce lieu qui en son temps (en 1970) écrivit une Rosa Lux et qui aurait certainement aimé ce nouvel hommage à cette haute figure de la révolution, ce qui n’est pas le moindre des compliments que l’on peut faire à Viviane Théophilidès. Un spectacle de cabaret donc ou de tréteaux réalisé avec trois francs six sous, mais qui s’avère d’une grande justesse dans sa réalisation pour non seulement évoquer la figure de Rosa Luxemburg, mais aussi pour parvenir à mettre au jour ce que notre sinistre aujourd’hui pourrait tirer comme profit de la pensée (et de l’action ?) de la révolutionnaire. C’est très franchement dit dans le montage opéré où passé et présent se mêlent dans un subtil travail d’allers et retours entre les deux époques : le montage réalisé par Viviane Théophilidès mêlant textes, dialogues, chansons, sketchs, passant d’un registre d’écriture à un autre sans transition s’avère d’une réelle efficacité. Le tout étant placé sous le signe de la conjugaison « J’étais, je suis, je serai » (« Ich war, ich bin, ich werde sein ») mot d’ordre souvent repris notamment par Armand Gatti dont Viviane Théophilidès monta jadis La Journée d’une infirmière. Ils sont donc quatre sur le plateau à nous proposer le jeu de la fausse reconstitution mais véridique réflexion sur le personnage, avec Sophie de La Rochefoucauld qui revêt avec une belle autorité non dénuée de grâce les habits de Rosa Luxemburg et assume ses pensées, Anna Kupfer qui la chante sur les notes exécutées par Géraldine Agostini, alors que Bernard Vergne qui a tenu le rôle du monsieur Loyal du début du spectacle assiste Viviane Théophilidès en personne présente sur le plateau en maîtresse de cérémonie discrète. À eux quatre, malgré l’évocation des sombres heures d’une révolution avortée, ils nous donnent un formidable et très nécessaire coup de fouet pour notre aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.

Jean-Pierre Han