Radioscopie d'une époque

Jean-Pierre Han

31 mai 2018

in Critiques

Les Ondes magnétiques de David Lescot. Mise en scène de l’auteur. Théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 1er juillet à 20 h 30. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr

Il y a une dizaine d’années David Lescot nous offrait une superbe et très émouvante Commission Centrale de l’Enfance dans laquelle il évoquait les colonies de vacances de son enfance créées et organisées par les juifs communistes après la Seconde Guerre mondiale. Ces colonies existèrent jusqu’à la fin des années 1980, date à laquelle le petit David Lescot les fréquenta. Seul sur scène avec sa guitare David Lescot racontait et chantait ses souvenirs. 1980 c’est précisément la date qu’il a choisie pour débuter sa fiction destinée à raconter l’aventure d’une radio libre, ou plutôt d’une radio pirate non autorisée et pourchassée par les autorités : nous étions sous l’ère du giscardisme triomphant, un triomphe qui touche à sa fin puisque mai 1981 survient avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et l’entrée au gouvernement de quatre communistes… La loi qui met fin au monopole d’état concernant la radio et la télévision est promulguée quelques mois plus tard, en novembre. Un vrai moment de bascule… que vit dans une tension de tous les instants la petite équipe de Radio Quoi inventée par David Lescot, une parmi les deux mille qui existent alors, et qui, faute d’être sur la liste des radios autorisées à émettre, va se marier avec Radio Vox, avec toutes les conséquences de ce partage forcé et le profond désaccord politique entre les deux parties. On l’a compris, le registre de la pièce de David Lescot n’est plus le même que celui de sa Commission Centrale de l’Enfance. L’époque évoquée dans ces Ondes magnétiques il ne l’a pas vécue, ou de manière particulière, celle d’un enfant qui avait alors une dizaine d’années. Pas question donc de transcrire des souvenirs personnels directement vécus, mais la volonté de capter l’atmosphère de ce temps-là, ce qu’il parvient à faire avec beaucoup d’acuité et toujours un regard où se mêle lucidité, tendresse et ironie qui sont sa marque de fabrique. D’où la nécessité pour lui d’inventer une fiction avec beaucoup de personnages (huit au total) pour faire revivre ces moments bien particuliers. Nous ne sommes plus dans un registre intime, mais dans la reconstitution minutieuse – et collective – de l’atmosphère de ces pans de notre Histoire. Car c’est de cela dont il est question, de ces trois années, de 1981 à 1983, d’une nouvelle ère et déjà du désenchantement qui commence à poindre. David Lescot jette tout cela sur le plateau dans une espace bi-frontal (signé Alwyne de Dardel) sur lequel est reconstitué, à l’identique a-t-on presqu’envie d’ajouter, un studio de radio libre, celui de Radio Quoi, puis celui de Radio Vox. Jeter est bien le terme, car le metteur en scène joue sciemment du désordre, de la pagaille, un peu trop même ; il y a là comme une volonté trop affirmée d’œuvrer dans ce registre, quelque chose de forcé jusque dans une certaine imagerie et certains stéréotypes. Les séquences s’enchaînent les unes aux autres à un rythme accéléré ajoutant encore à la confusion qui était, il est vrai, celle de l’époque… Les comédiens jouent tous plusieurs rôles, passant des personnages de Radio Quoi à ceux de Radio Vox, et s’en donnent à cœur-joie dans des accoutrements d’époque dans lesquels on peine à les reconnaître, sauf pour ce qui concerne leur talent, qu’il s’agisse d’Elsa Lepoivre ou de Sylvia Bergé ou encore de leurs camarades Nazim Boujenah, Jennifer Decker, Alexandre Pavloff, Christian Hecq, Claire de la Rüe du Can et Yoann Gasiorowski dans des silhouettes taillées à la serpe. Dans dix autres années, lorsque David Lescot entreprendra d’écrire sur notre époque avec des personnages définitivement noyés dans la désespérance, de quel événement emblématique se saisira-t-il ? En tout cas il lui ne restera sans doute plus comme arme que l’humour noir…

Jean-Pierre Han

Les Ondes magnétiques de David Lescot. Actes Sud-Papiers, 88 pages, 14 euros.