Gloire de Genet

Jean-Pierre Han

22 mars 2018

in Critiques

Elle de Jean Genet. Mise en scène d'Alfredo Arias. Théâtre de l'Athénée jusqu'au 24 mars à 20 heures. Tél. : 01 53 05 19 19 ; athenee-theatre.com

Rarement symbiose entre un auteur et son metteur en scène n'aura été aussi forte et flagrante. Entre Jean Genet s'amusant (mais on sait que le jeu chez lui recèle sa part de sérieux voire de gravité) à représenter le Pape dans Elle et Alfredo Arias la complicité artistique est évidente. On ne sera guère étonné de savoir que les deux hommes se sont côtoyés, Genet ayant bien saisi ce qui était le moteur et l'originalité de la troupe TSE dirigée par Alfredo Arias. Une troupe à l'univers poétique bien particulier, sachant mêler le grave et le dérisoire, le réel et le fantasme, dans une sur-théâtralité faisant appel à toutes les ficelles du genre plus ou moins visibles et revendiquées avec impertinence, lorgnant sans cesse et sans vergogne vers le music-hall et ses paillettes... Genet se reconnaissait si bien dans cet univers qu'il se mit à échafauder un projet avec Arias et sa troupe. Et si l'affaire ne se réalisa pas, sans doute la faute en revient-elle aux aléas de la vie. Mais Arias de son côté n'aura pas oublié Genet dont il mit en scène Le Balcon. Elle justement a été écrite d'une traite en 1955 juste après la première version du Balcon, et à l'évidence le personnage du Pape renvoie (condense ?) à à quelques figures de cette dernière pièce comme celles du Général et de l'Évêque (pour rester dans le domaine du religieux dont l'auteur connaît particulièrement les rouages) et lui fait bien référence à maints égards. Bouffonnerie très sérieuse que celle de ce Pape n'ayant d'existence que dans l'image et la représentation qu'il veut bien offrir au monde. Mais la coquille est vide, et l'image que nous en avons sur scène proposée par Genet et concoctée par Arias est celle d'un grand enfant qui se meut, cul nu, sur des patins à roulettes. Grande marionnette habillée de chiffons bariolés peinant à masquer l'absence de l'autre, Dieu. La séance de photographie est devenue essentielle car il faut bien sortir de là avec une représentation de Sa Sainteté, une image adéquate, seule preuve de l'existence de Dieu. Drôle de cérémonial mené avec une touchante maestria par Alfredo Arias (« Elle »), et ses comparses tout de rigueur et de drôlerie, Adriana Pegueroles (L'huissier), Marcos Montes (le Cardinal) et Alejandro Radano (Le photographe). Et comme la parfaite connaissance du sujet Genet autorise en toute légitimité Arias à insérer la pièce entre un prologue du Marquis de Sade, Juliette et le Pape, et un épilogue d'une force inouïe de Pier Paolo Pasolini, À un Pape, le spectateur assiste à un spectacle d'une réelle et belle consistance.

Jean-Pierre Han