Sade maltraité

Jean-Pierre Han

10 février 2018

in Critiques

Quills de Doug Wright. Mise en scène de Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Théâtre national de la Colline, jusqu'au 18 février à 20 h 30. Tél. : 01 44 62 52 52.

Créé en 1995 Quills de l'américain Doug Wright était une réponse théâtrale explicite à la vague d'ordre moral et de censure qui s'était emparée des États-Unis à l'époque. À travers le personnage sulfureux du marquis de Sade la pièce posait la question de la liberté d'expression des écrivains et des artistes. C'est donc une pièce de circonstances bien précises – même si le danger d'un retour à l'ordre moral et à la censure est toujours encore présent de nos jours – : elle en a tous les défauts, et pour le dire en un mot, l'œuvre n'est pas bien fameuse, construite à coups de serpe, d'une solidité de plomb. Et tant pis pour la « réécriture » de la vie du divin marquis, la démonstration passe avant toute vérité historique et même avant toute vraisemblance. La question qui se pose est de savoir pourquoi Robert Lepage s'est emparé de ce texte, en compagnie du circassien Jean-Pierre Cloutier qui signe également la traduction de l'œuvre en français. Les réponses sont simples, les deux hommes voulaient travailler ensemble, ce qui est une excellente et très insuffisante raison, mais surtout en interprétant le rôle titre de la pièce, Robert Lepage s'offre avec gourmandise le grand plaisir d'incarner le personnage du marquis de Sade dans la dernière partie de sa vie alors qu'il est enfermé à l'hospice de Charenton dirigé par l'abbé de Coulmier. (Ne pensons surtout pas au Marat-Sade de Peter Weiss !). Son plaisir est si grand semble-t-il, qu'il finit par opérer à la limite du sur-jeu comme ses camarades de plateau. On le regrette d'autant plus que la gestion de l'espace scénique, comme toujours chez lui, avec ses jeux de miroirs et de panneaux translucides est ingénieux, nous transportant comme en glissant, subtils fondus enchaînés, d'un espace à un autre, d'un univers à un autre. Cela ne suffit guère malheureusement pour sauver l'ensemble.

Jean-Pierre Han