Redécouvrir Georg Kaiser

Jean-Pierre Han

9 janvier 2018

in Critiques

'' Un jour en octobre'' de Georg Kaiser. Mise en scène d'Agathe Alexis. Théâtre de l'Atalante. Jusqu'au 13 février. Tél. : 01 46 06 11 90.

Il faut savoir gré à Agathe Alexis d'avoir exhumé une pièce du dramaturge allemand Georg Kaiser, Un jour en octobre, et de nous l'avoir présentée dans le petit théâtre de l'Atalante (pas plus de 60 places et un plateau où il faut faire preuve d'inventivité pour gérer les spectacles qui y sont présentés) qu'elle dirige depuis de nombreuses années conjointement avec Alain-Alexis Barsacq. De vingt ans l'aîné de Brecht, Kaiser a beau être à la tête d'une œuvre considérable de 74 pièces au seul plan théâtral avec bon nombre de ses œuvres traduites en français par la grâce du très précieux René Radrizzani et publiées en quatre volumes à l'Arche, rien n'y a fait : il reste relativement méconnu en France. Tout au plus connaissons-nous De l'Aube à minuit dont on citera plus volontiers le film qu'en a tiré Karl Heinz Martin que la pièce elle-même, et peut-être Les Bourgeois de Calais ou Le Soldat Tanaka, mais c'est vraiment tout. C'est là un triste paradoxe dans la mesure où Kaiser fut une des hautes figures de l'expressionnisme et qu'il connut pratiquement jusque dans les années 30 un très grand succès en Allemagne, avant bien sûr que la machine nazi ne tente de le faire taire. Un jour en octobre écrit en 1925 et représenté avec succès en 1928 l'année de création de l'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht et de Kurt Weill, dans le travail proposé par Agathe Alexis, est une authentique et forte découverte. L'intrigue proposée a toutes les apparences de la simplicité ; il s'agit de la recherche de la paternité de l'enfant d'une jeune fille, Catherine, jusque-là « pure », pourtant protégée (surveillée) par un abbé, son précepteur, et sa sœur. Catherine est la nièce d'un riche notable d'une grande ville de province, qui est aussi son tuteur, et qui est prêt à tout faire pour étouffer le scandale annoncé. Pourtant au fil du développement de l'histoire les choses vont se complexifier, toujours de manière limpide si on peut dire. Plus question en effet de rester au niveau de l'anecdote plutôt bien dessinée, avec ses rebondissements, ses retournements qui pourront prêter à rire, ce qui est mis au jour c'est la très subtile et brutale confrontation entre les mondes de la réalité et du rêve, entre ce qui est de l'ordre de l'esprit et ce qui est de l'ordre de la terre et de la chair ; on retrouve là un thème récurrent dans la littérature allemande. Catherine, la fille-mère, a rêvé son amour et ses fiançailles et son mariage avec un lieutenant qui ne la connaît pas, mais qui, convoqué en toute urgence par l'oncle, va finir par tomber dans les rets du rêve de la jeune femme qui au moment de son accouchement avait prononcé son nom. De ce qui pourrait au départ faire penser à une variation pirandellienne (l'auteur italien était l'aîné de Kaiser de 11 ans) bifurque brusquement vers d'autres rivages. Agathe Alexis et ses comédiens se saisissent à bras le corps du texte de Kaiser, les quatre comédiens, Hervé Van der Meulen, Bruno Boulzaguet, Benoit Dallongeville et Jaime Azulay, dans une moindre mesure, évoluant dans un registre « musclé » qui contraste singulièrement avec celui d'Ariane Heuzé, la toute jeune femme, dansant, elle, en pur esprit, comme une elfe. Et tout, dès lors, se précipite (dans tous les sens du terme) vers une fin qui laisse pantois. Sans fioriture comme l'ensemble de la représentation menée tambour battant et où toutes les « valeurs » de la bonne bourgeoisie auront été mises à mal.

Jean-Pierre Han