Disparition d'Adel Hakim
Adel Hakim nous a quitté le mardi 29 août, chez lui. Il nous avait adressé cette lettre quelques jours avant.
LIBRE ADIEU
Adel Hakim Ivry sur Seine, 15 août 2017
En 1975 la France rend légale l’interruption volontaire de grossesse. En 1981 la France proclame l’abolition de la peine de mort. En 2013 la France légalise le mariage pour tous. Chacune de ces lois élève le niveau de respect et de dignité des citoyens.
Une personne désespérée de son mode de vie, de ses souffrances physiques ou mentales, des violences, des injustices et humiliations qu’elle subit au quotidien peut vouloir se donner la mort. Le plus souvent en s’isolant. Se pendre comme le fait Antigone, se tirer une balle dans la tête, avaler des masses de cachets, se faire harakiri.
Ou devenir kamikaze. Seul ce dernier choix de suicide pris par de jeunes terroristes est empreint de colère et de vengeance qui va chercher à tuer des victimes innocentes.
Le 17 décembre 2010 a eu lieu en Tunisie une auto-immolation par le feu de Mohamed Bouazizi sur une place publique. Les autorités avaient confisqué la marchandise à ce jeune vendeur ambulant de fruits et légumes dans la ville de Sidi Bouzidi. La révolution tunisienne a débuté ce jour-là nommée « Révolution du Jasmin », rappelant la « Révolution des Œillets » au Portugal de 1974.
C’est dire combien la relation entre la vie et la mort porte du sens à l’humanité. Un sens qui ne peut être ignoré. Les sociétés capitalistes, donc purement matérialistes, ne font que l’occulter. Cette ignorance finit par produire des drames puis des tragédies.
L’expérience que je vis depuis près de trois ans, affecté d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie dégénérative avec, justement, une espérance de vie de deux ans et demi, m’a fait découvrir de manière intime une nouvelle expérience de vie. Une autre liberté. Une liberté interdite par la législation française.
Malgré cette interdiction des autorités françaises de faire un choix de fin de vie tel qu’un suicide assisté, je me considère comme un privilégié. Malheureusement, la majorité des français n’ont pas accès à ce type de privilèges. Ceci m’attriste pour eux. Une lutte doit être constamment menée par les citoyens pour défendre les concepts de Liberté, Égalité, Fraternité. Et qu’une concrétisation de ces concepts soit un jour acquise.
Ce privilège que j’ai eu repose sur mon statut, mes ressources financières, l’ouverture d’esprit de mon entourage. Aucun de mes proches, dont ma fille unique Lou, ne s’est opposé à ma décision. Ce privilège m’a permis d’adhérer à une association en Suisse, Dignitas, pour fixer mon dernier jour de vie sur notre planète : le lundi 28 août 2017.
Avec Dignitas tout est mis en œuvre de manière rigoureuse sur les plans administratif, juridique, médical. Une forte attention aux demandes des patients. Cette attention est accordée avec une parfaite distance, avec respect et sans empathie.
Malgré toute ma confiance et mon estime à l’égard de Dignitas, le fait qu'il faille voyager en ambulance pendant 8 heures vers les alentours de Zurich alors que je réside à Paris est un déplacement lourd pour moi et pour les proches qui m'accompagnent.
Problèmes d'élocution, de salivation, de fasciculation, de perte de poids, d’affaiblissement des muscles, de respiration, d’alimentation... Des symptômes caractéristiques de cette maladie qui a surgi dans mon cerveau et qui a affecté une partie de mes neurones.
Prendre la parole clairement, argumenter, dialoguer, lire des textes en public fait partie du métier théâtral et des activités artistiques du spectacle vivant. Perdre la capacité de parler, de m’exprimer oralement en tant qu'homme de théâtre a un impact primordial. Malgré cette difficulté, j'ai essayé de poursuivre le plus longtemps possible ma fonction de metteur en scène, d'auteur et de directeur. Mais pas en tant qu’acteur.
L'équipe du Théâtre des Quartiers d'Ivry, centre dramatique national du Val-de-Marne, a été assez vite au courant de ma maladie. Elle m’a fortement soutenu dans mon travail. Elle a accepté que je reste au poste de co-directeur artistique avec Elisabeth Chailloux jusqu'à la fin de notre mandat qui vient à échéance au 31 décembre 2018. Ce ne sera pas le cas pour moi. Je n’y serai pas. Cette échéance est trop lointaine pour mon corps.
Avec l’évolution de cette maladie qu’aucun traitement médical ne peut faire régresser, j’ai tout fait pour être présent à l’inauguration de la Manufacture des Œillets. Et poursuivre la première saison du Théâtre des Quartiers d’Ivry dans ce magnifique lieu. Je souhaite donc à tous une belle saison 17-18 et une belle année 2018.
Depuis quelques mois, perdre mon autonomie en termes de mouvement, de paraplégie m’est devenu insupportable. D’où mon souhait d’aller auprès de Dignitas. Il ne s’agit pas d’une euthanasie mais d’un suicide assisté avec une volonté consciente du patient de mettre fin à ses jours compte tenu de sa difficulté à survivre. Comme quoi parfois une mort sereine est la seule solution face aux souffrances générées par l’acharnement thérapeutique.
Dans cette situation, le fait de pouvoir adresser un Libre Adieu est très étonnant. Une fois la date fixée pour passer de l’autre côté du miroir, le sens de chacun des jours restants est une boule de cristal d’une richesse infinie.
Cette date de dernier jour de vie décidée en amont est impossible pour la très grande majorité des humains. Néanmoins, un équilibre Ying et Yang, Eros et Thanatos, Vie et Mort, rassérène. Il n’est pas nécessaire d’être angoissé par l’idée de la mort. Il faut l’accepter car c’est un passage inéluctable vers l’au-delà. Aucun de nous n’est immortel. Aussi faut-il vivre avec plaisir, partage, solidarité, porter attention et secours, entre autres, aux démunis et aux migrants.
Alors, ADIEU, chers vivants !
Avant notre naissance, tout au long de notre vie et après notre mort, nos cellules, nos molécules, notre esprit, nos rêves, nos souvenirs, appartiennent au système Solaire, à la Voie Lactée, à notre Galaxie et à l’Univers dont nous ignorons les limites.
Je vous embrasse avec tous les espoirs de paix et d'amour que nous portons dans nos cœurs.
Adel Hakim