Un cas intéressant

Jean-Pierre Han

8 mars 2017

in Critiques

Le Cas Sneidjer d'après Jean-Paul Dubois. Adaptation et mise en scène de Didier Bezace. Théâtre de l'Atelier, à 21 heures. Jusqu'au 22 avril. Tél. : 01 46 06 49 24

Didier Bezace tel qu'en lui-même, au meilleur de sa forme et tel que nous l'apprécions. C'est sa marque de fabrique : se saisir d'un texte (pas forcément théâtral), dont la singulière qualité l'a frappé, le travailler jusqu'à mettre au jour toutes ses coutures les plus subtiles, et nous l'offrir avec tact dans une mise en scène qui sait se jouer de tous les pièges grâce notamment à une direction d'acteurs toujours juste. Ce fut le cas avec Emmanuel Bove, Ferdinando Camon, Antonio Tabucchi et de nombreux autres que l'on put ainsi découvrir ou redécouvrir. C'est le cas aujourd'hui avec l'adaptation qu'il a lui-même réalisée du roman de Jean-Paul Dubois paru il y a plus de cinq ans, en 2011, le Cas Sneidjer, une histoire bouleversante qui mêle le tragique et la mélancolie avec la fantaisie voire la bouffonnerie la plus débridée, mais toujours dans un registre mezzo voce. Comme une petite musique insidieuse qui viendrait vous bercer et vous hanter. Tel est le registre de ce spectacle qui narre la lente descente aux enfers d'un homme, seul rescapé d'un accident d'ascenseur dans lequel sa fille chérie née d'un premier lit a péri. Après un long coma, le revoilà chez lui, mais plus rien n'a désormais pour lui la saveur d'autrefois. C'est d'abord avec détachement puis avec aversion qu'il considère désormais son ancienne vie avec femme au foyer visitant avec une régularité d'horlogère deux fois par semaine son amant, mais toujours attentive à son mari et à sa place dans son petit monde bien réglé. Lui n'a qu'une idée en tête, une véritable obsession, comprendre et tenter de percer le mystère du mécanisme des ascenseurs, et saisir ainsi les raisons de son accident. Cela tombe d'autant mieux, si on ose dire, que le fonctionnement desdits ascenseurs deviendra le symbole même de notre vie en société, hilarante démonstration à l'appui. Et comme il n'est plus question pour ce Sneidjer de retourner travailler dans un bureau comme autrefois, mais qu'il faut tout de même avoir une autre occupation, le voilà qui va devenir promeneur de chiens, une vraie honteuse déchéance aux yeux de ses proches… Mais une occupation qui lui permet de respirer ! Ne racontons pas la suite des événements, mais soulignons à quel point cette partition – c'en est une – narrée à la première personne du singulier, avec recours à une voix off, la voix intérieure du personnage principal, est portée par le comédien Pierre Arditi, corps las, s'alourdissant au fil du temps de l'histoire. C'est une performance de première grandeur qu'il réalise là avec une extrême rigueur. Sans doute « bien » dirigé par Didier Bezace qui lui donne d'ailleurs également la réplique dans certaines séquences. Le dialogue entre les deux comédiens étant un véritable régal. Deux hommes que la vie a façonné et qui sont fait pour s'entendre… Les autres comédiens de la distribution, Thierry Gibault, Sylvie Debrun, des habitués qui font partie de la galaxie des fidèles de Didier Bezace sont comme toujours parfaits dans la justesse de leur jeu. On retrouve d'ailleurs au générique du spectacle, les habituels collaborateurs du metteur en scène, Jean Haas (à la scénographie co-signée avec Didier Bezace), Laurent Caillon (à la dramaturgie), Dominique Fortin (à la lumière)… Pour le meilleur bien sûr.

Jean-Pierre Han