À la vie, à la mort

Jean-Pierre Han

19 janvier 2017

in Critiques

Le Vivier des noms de Valère Novarina. Mise en scène de l'auteur. Théâtre 71 de Malakoff jusqu'au 26 janvier. Tél. : 01 55 48 91 00

Parmi toutes ses nombreuses qualités Valère Novarina pour qui la simple appellation de poète semble trop étroite à moins de la casser et de l'ouvrir, il en est une qu'il faut mettre en exergue, c'est celle du choix des titres de ses œuvres, qui sont plutôt des titres de chapitres d'une seule et même Œuvre. À cet égard le Vivier des noms créé au festival d'Avignon en 2014 est tout à fait emblématique de son cheminement. Ce vivier (le terme prolonge celui de vie), il nous l'offre au Théâtre 71 de Malakoff  où éclate la parole continue de l'auteur qui, en plus de son activité de plasticien, assume depuis quelque temps déjà celle de metteur en scène. Ne lui resterait plus qu'à revêtir l'habit de comédien – ce qu'il fait parfois en lisant en public ses propres textes de manière étonnante – mais point n'est besoin pour lui d'en arriver à cette extrémité : il a trouvé des comédiens, parfaits complices, qui reviennent de spectacle en spectacle et sont devenus de véritables, talentueux et singuliers, acteurs… novariniens. Dans l'espace ouvert et conçu comme toujours par Philippe Marioge, avec notamment le plateau entièrement recouvert de panneaux sur lesquels l'auteur a dessiné des personnages (petit choix parmi une production qui se compte par milliers), les paroles des personnages du Vivier des noms éclatent et ravissent aussi bien ceux qui connaissent son écriture singulière que ceux qui la découvrent. Au fil du temps, un phénomène s'est produit : ces paroles que l'on trouvait étranges, et pour les plus revêches, incompréhensibles avec cette façon très particulière de s'approprier le langage en le distordant, hors de tout logique narrative, tout cela est aujourd'hui reçu presque naturellement, sans aucun problème. Tout semble aller de soi ; preuve irréfutable que Novarina qui creuse depuis toujours avec la même intensité son propre chemin était peut-être en avance sur son temps. Bonheur d'un cheminement commun au cœur de la langue émise par un nombre presque infini de personnages, il y en avait 2587 dans le Drame de la vie dont ce Vivier des noms assume la continuité avec une dimension supplémentaire – une sorte de plaisante mise en abyme présentant le théâtre et son décor imaginaires – apportée dès le début du spectacle par une jeune femme incarnée par Agnès Sourdillon, avant que la parole ne soit donnée à l'Historienne, présentatrice, madame Loyal, maîtresse d'œuvre qu'interprète avec une belle maîtrise et beaucoup de grâce une nouvelle venue dans le cercle des acteurs novariniens, Claire Sermonne. Cette Historienne apporte un semblant d'ordre parmi tous les personnages consignés au départ par Novarina dans des carnets où il leur laisse parole, dialogue avec eux,… mais non, comme dirait Jean Genet, « ça déménage », et Ivan Hérisson, Julie Kpéré, Dominique Parent, Claire Sermonne, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, René Turquois et Valérie Vinci, épaulés par le musicien Christian Paccoud, et par Elie Hourbeigt et Richard Pierre, s'en donnent à cœur joie. C'est Novarina tout entier que l'on retrouve, d'autant plus qu'il n'hésite pas à reprendre des séquences de précédents spectacles, mais le tout est habilement cousu, et réellement maîtrisé dans un déluge verbal du meilleur aloi que l'ombre de la mort (et donc de la vie) ne cesse de travailler, ce que l'on perçoit avec encore plus de limpidité et de force qu'à Avignon, nous renvoyant à ses autres œuvres – parmi les premières – aux titres parlants comme La Lutte des morts ou Le Drame de la vie. Mais c'est surtout à Pour Louis de Funès que l'on songe, un petit ouvrage fort précieux et ô combien pertinent sur l'art de l'acteur et l'essence du théâtre…

Jean-Pierre Han

Le Vivier des noms est édité chez P.O.L, 2015