Le spectacle du monde

Jean-Pierre Han

19 juillet 2016

in Critiques

FESTIVAL D'AVIGNON

Het Land Nod (La Pays de Nod) par le FC Bergman. Parc des expositions Avignon. Jusqu'au 23 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14.

Les belges d'Anvers du collectif FC Bergman composé de cinq garçons et d'une fille nous administrent une belle leçon qui pourrait concerner tout particulièrement leurs compatriotes Ivo van Hove et Anne-Cécile Vandalem, eux aussi à l'affiche du festival ; point besoin d'images sanglantes, d'armes à feu, de long discours plus ou moins tarabiscotés, le tout relayé par de la vidéo, pour rendre compte de l'état désastreux de notre monde et de notre civilisation. Du même coup ils apportent une bouffée d'air frais à une programmation « étouffante » (pour le dire poliment). L'état désastreux du monde ? Il est symbolisé ici par la reproduction telle quelle d'une salle du musée des Beaux-Arts d'Anvers en pleine réfection et qui ne réouvrira ses portes que fin 2018. Une salle consacrée à Rubens dont il reste un tableau, Le Coup de lance, pour la seule et unique raison que ses dimensions – 4,30 mètres de hauteur et 3,11 mètres de largeur ! – ne lui permettent pas d'être évacué par les portes du lieu. Un véritable casse-tête pour le conservateur, et il faut entendre l'expression dans son sens littéral, car celui-ci sera amené à effectuer des acrobaties dignes de Harold Lloyd accroché aux aiguilles d'une horloge au-dessus du vide, alors qu'une nouvelle fois il est venu prendre les mesures du tableau dans on ne sait plus quel espoir… Ce n'est qu'une des péripéties pour tenter de résoudre l'impossible équation de sortir le tableau de la salle. C'est désopilant car les comparses du conservateur ne sont pas en reste dans leurs tentatives pour l'aider à parvenir à ses fins. La référence au cinéma (ce n'est pas pour rien que la compagnie s'appelle FC Bergman, du nom du cinéaste suédois) est constante, des burlesques américains à Jean-Luc Godard dont les courses d'un trio composé de deux hommes et une femme viennent reprendre à plusieurs reprises celles de Bande à part du cinéaste. De belles citations qui entrecoupent la ou les temporalités de ce no man's land – un lieu sans but – double de l'enfer, du purgatoire ou du paradis tout à la fois ? Car bien entendu, la hasard fait toujours bien les choses, la source du tableau de peintre baroque flamand est à chercher dans l'Évangile de Matthieu, ce qui donne une certaine coloration aux scènes muettes qui se déroulent dans la salle dans laquelle nous sommes invités de plain-pied. C'est drôle et profond à la fois.

Jean-Pierre Han