Bouffonnerie politique

Jean-Pierre Han

10 juillet 2016

in Critiques

FESTIVAL D'AVIGNON

Ceux qui errent ne se trompent pas de Kevin Keiss d'après la Lucidité de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poesy. Salle Benoît XII à 15 heures. Jusqu'au 10 juillet. Tél. 04 90 14 14 14

La fable inventée et signée par le grand écrivain portugais José Saramago est belle et forte. Maëlle Poesy et Kevin Keiss se s'y sont pas trompés et profitent de l'aubaine dans leur désir de parler du monde d'aujourd'hui et plus précisément de la démocratie dont l'acte électoral est l'un des symboles : ils reprennent la fable telle quelle, Kevin Keiss travaillant plus spécifiquement sur le texte, Maëlle Poesy sur la mise en scène. S'attaquer au symbole que représente l'acte électoral ? José Saramago (disparu en 2010) et à sa suite les deux complices Kevin Keiss et Maëlle Poésy s'y attellent joyeusement. Que se passe-t-il effectivement lorsqu'au cours d'une élection nationale le vote blanc remporte la victoire à une écrasante majorité (plus de 80% des suffrages) ? Faut-il voir là comme le soupçonne bien sûr le gouvernement en place qui craint pour sa légitimité l'expression d'un complot bien ourdi ? En tout cas hors de question de prendre simplement au pied de la lettre ce signe très démocratique et d'en tirer les conclusions qui s'imposent : si donc complot il y a, il faut prendre les mesures qui s'imposent, éventuellement annuler le vote, écraser la rébellion naissante, etc. Kevin Keiss et Maëlle Poesy nous invitent donc avec Ceux qui errent ne se trompent pas au cœur de la cellule gouvernementale saisie de panique – chacun ne pensant en fait qu'à ses petites affaires personnelles – avec incursions auprès d'un inspecteur chargé de l'enquête sur cet acte désormais considéré comme délictueux, ce qui l'amènera un peu plus tard à infiltrer les « rebelles », de tenter de faire parler quelques suspects soupçonnés d'avoir voté blanc… Impitoyable et hilarante situation que Maëlle Poesy malheureusement ne parvient pas à gérer durant une bonne partie du spectacle (il faut attendre une bonne heure avant que celui-ci démarre vraiment) pour la simple raison qu'elle ne trouve pas vraiment le registre de jeu, la traduction théâtrale de l'univers du roman de Saramago, pour l'imposer. Comme si elle n'osait pas plonger d'emblée dans une bouffonnerie « ubuesque » et de se lâche. Ce n'est pas son talent qui est en cause, ni celle de ses comédiens (ils sont six à mener l'affaire à un train d'enfer), le tout dans une scénographie astucieuse signée Hélène Jourdan qui elle aussi, reste… mesurée (avec de l'eau qui envahit la scène, car tout cela se passe dans une atmosphère d'apocalypse très humide !). Dommage car la leçon administrée par cette fable dans sa relation avec ce que nous vivons et subissons quotidiennement pouvait être beaucoup plus parlante qu'elle ne l'est ici.

Jean-Pierre Han