Pirandello revisité

Jean-Pierre Han

13 avril 2016

in Critiques

On ne sait comment de Pirandello. Mise en scène Marie-José Malis. La Commune. CDN Aubervilliers. Jusqu'au 17 avril à 19 h 30. Tél. : 01 48 33 16 16.

Marie-José Malis entretient avec l'œuvre de Pirandello une relation particulière. Elle présentait en début de saison une saisissante Volupté de l'honneur, elle revient aujourd'hui avec On ne sait comment, un spectacle qu'elle avait créé il y a cinq ans à Montpellier. Un juste retour si on veut bien considérer ce que cette dernière pièce met en jeu, presque à nu pourrait-on dire, et en tout cas de manière encore plus radicale que dans les autres œuvres de l'écrivain sicilien. Marie-José Malis y revient donc très justement pour en tirer davantage la substantifique moelle et aussi parce que désormais elle habite un nouveau lieu, le théâtre de la Commune d'Aubervilliers dont elle apprivoise désormais la scène ce qui donne à ses mises en scène une coloration (et une pensée) particulière. Rien d'étonnant si On ne sait comment est encore plus radical que le reste de l'œuvre de Pirandello ; c'est son avant-dernière pièce écrite en 1935 un an avant Les géants de la montagne qui resta inachevée. On y retrouve bien sûr toutes ses thématiques habituelles, mais comme poussées à leur extrême limite. De ce point de vue, les dernières interventions de Roméo, le personnage principal de la pièce, celui autour duquel tout se noue et se dénoue, au cours desquels il tente d'accoucher, de faire accoucher ses comparses (femmes et ami) d'une impossible vérité, ou plutôt d'une vérité toute relative, tentant de définir le rêve et la réalité, insistant sur la réalité du rêve, de la fiction, jonglant sur la puissance de l'illusion et du faux pour tenter de toucher au vrai, tout cela, Pirandello par la bouche de Roméo nous le donne à entendre. Et Marie-José Malis prend à son tour le relais pour nous le faire entendre et réfléchir, à nous autres spectateurs, dans la salle qui demeure éclairée, ne subissant que quelques variations d'intensité lumineuse. Tout est au grand jour, et les comédiens restent le plus souvent face au public pour dire leur texte. Dire et jouer le discours philosophique (car c'est un discours philosophique et politique). Chez Malis on joue par ailleurs cartes sur table quitte à provoquer le malaise. Elle démultiplie ainsi la mise en abîme de l'auteur. Tout y est d'une obscure clarté. Et d'une précision de métronome. Cela demande une véritable maestria de la part des comédiens, on l'aura compris. C'est là où le patient travail de Marie-José Malis avec eux porte ses fruits. Les interprètes que l'on a plaisir à retrouver de spectacle en spectacle font vraiment merveille, portent à bout de bras la pièce en en découvrant toutes les nuances, en l'ouvrant comme un fruit pour nous l'offrir dans toute sa subtile complexité. Ils le font avec un degré d'intensité inouï dans ce qui est bien un style. Olivier Horeau (Roméo) et Victor Ponomarev (Giorgio, son ami) donnent véritablement chair aux propos de Pirandello aidés avec talent par leurs camarades de plateau, Sylvie Etcheto, Sandrine Rommel et Pascal Batigne.

Jean-Pierre Han