Aimable, trop aimable Dom Juan

Jean-Pierre Han

29 mars 2016

in Critiques

Dom Juan de Molière. Mise en scène de Jean-François Sivadier. Création au Théâtre national de Bretagne le 22 mars, puis tournée nationaleà Bordeaux, cergy-Pontoise, le Mans, Châteauvallon, La Roce-sur-Yon, etc.

C'est un très paradoxal sinon étrange Dom Juan de Molière que nous offrent Jean-François Sivadier et Nicolas Bouchaud, toujours étroitement associés, avec leurs fidèles camarades de jeu. Étrange par rapport à ce que l'on sait et appréhende d'ordinaire de l'œuvre sulfureuse de Molière et non pas par rapport à leur travail commun. Dans la scénographie que Jean-François Sivadier a conçue avec Christian Tirole et Daniel Jeanneteau – autres fidèles – avec toutes ces planètes qui descendent du ciel on se croirait d'ailleurs dans une suite de La Vie de Galilée de Brecht, un de leur précédent spectacle plutôt réussi. Face à ce Dom Juan, très peu Festin de pierre nous sommes en pays de connaissance du duo Sivadier-Bouchaud. Même ligne scénographique donc, même approche du texte joyeusement distanciée, même jeu de Nicolas Bouchaud, et du reste de la distribution… Dom Juan, tel qu'on l'envisage ordinairement tutoie et défie Dieu et l'univers en son entièreté. C'est à ce niveau que se situe le paradoxe et l'étrangeté de la version de Jean-François Sivadier et Nicolas Bouchaud. Ce dernier, en effet, est à maints égards un être on ne peut plus terre à terre. Et le metteur en scène a beau faire le décompte en public, sur un cadran placé en hauteur en fond de scène, du nombre de fois où le mot ciel est prononcé, rien n'y fait, c'est bel et bien un Dom Juan très commun qu'il nous donne à voir, Dieu, le Commandeur et compagnie semblent de pacotille. L'interprétation de Nicolas Bouchaud va dans ce sens : son personnage est un gentil dragueur. Son entrée en scène par la salle et ses approches auprès de quelques jeunes et jolies spectatrices donnent le ton en soulignant le trait. Il en sera ainsi tout au long de la pièce menée tambour-battant au son de la musique du film de Hitchcock, La Mort aux trousses. Pas trop le temps dans ces conditions, on le comprendra aisément, d'avoir une quelconque réflexion métaphysique ou non et d'un éventuel défi au ciel. D'ailleurs Nicolas Bouchaud, micro en main, nous le confirmera en entonnant la chanson de Marvin Gaye, Sexual healing ! On est effectivement dans le remède ou la satisfaction sexuelle pure et simple… Les différentes scènes, celles d'Elvire notamment (Marie Vialle), une Elvire combattante, de Pierrot (Stephen Butel) ou de Charlotte (Lucie Valon, dans un registre proche du clown – comme dans la Vie de Galilée – où certes elle excelle) renforcent l'impression. Si Nicolas Bouchaud se balade toujours avec la même aisance sur le plateau, c'est surtout Vincent Guédon qui convainc dans le rôle de Sganarelle. D'ores et déjà promis à une belle tournée, ce Dom Juan en équipe réduite, ils sont quatre, en dehors du couple Dom Juan-Sganarelle, à se partager tous les rôles, devrait faire des ravages sans aucun dommage.

Jean-Pierre Han