Paroles de femmes

Jean-Pierre Han

23 mars 2016

in Critiques

Garde barrière et garde fou. Mise en scène de Jean-Louis Benoit. Créé au théâtre de l'Aquarium, jusqu'au 26 mars à 21 heures.

Le 8 mars, pour qui l'aurait oublié, est la journée de la femme. C'est le 8 mars dernier – coïncidence ou hasard auquel nous ne croyons guère – que Jean-Louis Benoit a présenté son nouveau spectacle Garde barrière et garde fou, au Théâtre de l'Aquarium à la Cartoucherie, un lieu qu'il connaît bien pour l'avoir créé en 1972 avec Jacques Nichet et Didier Bezace, puis pour l'avoir dirigé jusqu'en 2001. En pays de connaissance Jean-Louis Benoit est à son meilleur pour rendre hommage aux femmes, en l'occurrence une garde barrière et une infirmière de nuit en hôpital psychiatrique. À l'heure où l'on parle à tout propos de théâtre documentaire, où auteurs et metteurs en scène vont sur le terrain interviewer des gens ordinaires, Jean-Louis Benoit, de son côté, s'est saisi de deux entretiens proposés dans l'émission « Les pieds sur terre » de Sonia Kronlund sur France Culture. Deux entretiens, le premier réalisé par Olivier Minot, Monique garde barrière et le second Les travailleurs de l'ombre II : Garde fou, jusqu'au bout de la nuit par Élodie Maillot. Deux témoignages d'une force inouïe dans leur simplicité même. Portait de deux femmes ordinaires saisies dans le labeur de toute une vie ; elles ont la cinquantaine et travaillent depuis toujours. Mais Monique sait très bien que sa fonction est destinée à disparaître, alors que Myriam, l'infirmière, aura toujours des patients à l'hôpital Saint-Anne à Paris qu'elle s'efforcera, la nuit tombée, d'aider à dormir. Ce sont des vies « normales », âpres, comme il en existe sans doute des milliers, anonymes, de par le monde. Pas de récrimination chez elles, mais une vision lucide de leurs situations respectives dont la description minutieuse faite avec une étonnante lucidité touche au plus profond. Elles sont deux, elles pourraient être des milliers, c'est tout un. Garder des barrières pour préserver des vies ou garder des fous, ce sont de véritables travailleuses de l'ombre à qui personne d'ordinaire ne donne la parole. À tort car ce qu'elles ont à dire, à nous dire, leurs travaux et les jours, est le tissu même de la vie de tout un chacun. Ce qu'a très bien compris l'actuel directeur du Théâtre de l'Aquarium, François Rancillac, enfin renouvelé dans sa mandature longtemps menacée – ce qui souleva un flot de protestations – qui a organisé ce qu'il nomme avec bonheur Paroles de femmes. Il fallait toute la délicatesse et la finesse du metteur en scène pour nous donner à voir et à entendre sans pathos, ces deux témoignages. On sait que Jean-Louis Benoit excelle dans ce registre. Il ne faillit pas dans sa tâche aidé en cela par une comédienne qu'il dirige à la perfection, Léna Braban qui interprète les deux femmes avec une superbe et discrète intelligence, tout en finesse, ne cherchant pas un vain réalisme, mais en offrant à la réflexion, et avec une légère distance, ces deux paroles de femme qui finissent par se rejoindre par-delà leurs différences. Monique et Myriam, de jour comme de nuit, parlent d'une même voix. Il serait navrant que l'on ne puisse pas les entendre dans d'autres lieux après leur passage à l'Aquarium.

Jean-Pierre Han