Une femme dans son siècle

Jean-Pierre Han

15 février 2016

in Critiques

La Chambre de Milena de Filip Forgeau. Mise en scène de l'auteur. Théâtre de l'Atalante. Jusqu'au 22 février. Lundi, mercredi et vendredi à 20 h 30. Jeudi et samedi à 19 h. Tél. : 01 46 06 11 90.

C'est un beau projet qu'a eu l'écrivain et metteur en scène Filip Forgeau de tenter de tracer le portrait de trois femmes au destin particulier marquant, Milena Jesenskà, Anaïs Nin et Rosa Luxemburg. Portraits autonomes bien sûr, mais qui ne se saisiront avec l'efficacité voulue que dans la dynamique générale de l'ensemble. D'emblée Filip Forgeau, tout en faisant mine d'enfermer ces trois femmes dans leurs chambres nous donne les clés de sa démarche. Des chambres ? Sans doute, mais c'est pour mieux explorer leurs espaces du dedans comme aurait dit Michaux. En d'autres termes ces fermetures sont paradoxalement des ouvertures vers d'autres espaces, vers d'autres horizons, intimes, inexplorés jusqu'à présent en même temps que les méthodes d'exploration consistant à procéder par petites touches, collages, saisies d'éléments hétérogènes, lettres, notes, témoignages, bribes d'œuvres, etc., sont mises au jour ; tout le contraire d'un tracé linéaire, ferme et finalement sans réelle approche du mystère de la vie. L'exemple de La Chambre de Milena, de ce point de vue, est emblématique. Le choix même du sujet, Milena Jesenskà, est parlant. Que connaissons-nous en effet de cette femme à la personnalité extrêmement complexe et trempée, sinon sa correspondance avec Kafka dont elle fut également la traductrice ? Ce qui est pour le moins réducteur. Filip Forgeau, en écrivain aguerri, procède par touches pour tenter de l'approcher, non pas pour en faire forcément un portrait plein, mais pour vraiment saisir au vol quelques élans de vie profonde et intime. C'est le tremblement d'un trait de plume ou de pinceau qui ne parvient pas toujours à s'affirmer qui est ici émouvant et qui rend compte du tremblement des mouvements de vie de celle qui périt à Ravensbrück en 1944. L'univers de la chambre, dans son apparent et sombre capharnaüm est ici créé avec une belle intelligence alors que l'environnement sonore et lumineux ajoute encore à cette descente au plus profond de l'intime de Milena, la voix off de Daniel Mesguich dialoguant avec Milena venant ponctuer avec une rare justesse les propos tressés par Filip Forgeau et pris en charge (en chair) avec une belle subtilité par Soizic Gourvil qui se sort à merveille des différences de registre d'écriture, avec leurs pleins , leurs déliés et leurs ruptures.

Jean-Pierre Han