Retour de Koltès

Jean-Pierre Han

6 décembre 2015

in Critiques

Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène d'Arnaud Meunier. Théâtre de la Ville à Paris, du 20 au 31 janvier 2016, à 20 h 30. Tél. : 01 42 74 22 77.

Amoureux du théâtre sous toutes ses formes et les connaissant parfaitement, quoi qu'il en ait dit, Bernard-Marie Koltès avait écrit Le Retour au désert, son avant-dernière pièce, tout spécialement pour Jacqueline Maillan et Michel Piccoli, deux monstres sacrés du théâtre privé et du théâtre public. Entre les mains, une fois de plus, de Patrice Chéreau, le résultat ne fut pas vraiment à la hauteur de ses espérances. C'était en 1988, depuis la pièce est entrée, non sans remous, au répertoire de la Comédie-Française. Qu'en est-il près de trente ans plus tard ? Arnaud Meunier, le metteur en scène n'élude pas, bien sûr, la comédie quasi boulevardière mettant en présence un frère et une sœur, les deux « monstres » interprétés avec une réelle jouissance par Didier Bezace et Catherine Hiegel, deux tempéraments qu'il n'est pas utile de présenter, et là il joue gagnant. Mais Le Retour au désert aujourd'hui c'est aussi le rappel de ce qui fut longtemps tu, et l'est encore d'une certaine manière, notre douloureuse relation avec notre ancienne terre, notre colonie, l'Algérie. Koltès savait de quoi il parlait, jeune homme politiquement engagé – il fut même inscrit au parti communiste durant les années 1975 à 1978 – son regard sur les conséquences du conflit algérien dans notre pays, et tout particulièrement dans cette ville de garnison de province, Metz, qu'il décrit et où il passa une bonne partie de son enfance au sein d'une famille dont le père était militaire, est d'une particulière acuité. Le talent de Koltès réside dans sa capacité à mêler tous les éléments dans une seule et même histoire, quitte à nous embarquer dans différents registres d'écriture et de jeu. Et l'on retrouve bien entendu ce qui fait la spécificité de son style. Le Retour au désert annonce déjà, à bien des égards, sa dernière pièce, Roberto Zucco, les personnages tracés à la serpe sont cependant nimbés de mystère et l'on trouve même dans cette comédie, car il s'agit d'une comédie, des fantômes, des esprits, un parachutiste noir tombé d'on ne sait où, bref d'étranges choses : n'oublions pas que juste avant d'écrire sa pièce Koltès avait adapté le Conte d'hiver de Shakespeare que mit en scène Luc Bondy qui vient de disparaître… À la suite de Koltès Arnaud Meunier qui prend la liberté de situer le lieu de l'action uniquement dans le jardin de la maison familiale, dessine avec précision le portrait de cette famille bourgeoise d'une ville de province qui est un « immense monument aux morts sur lequel les guerres se gravent l'une en-dessous de l'autre », ajoutant que « la province française est la mémoire obstinée, têtue et hargneuse du peuple de l'histoire »… Il le fait d'un beau trait servi par une distribution cohérente et en perpétuelle tension au sein de laquelle on a plaisir à retrouver Isabelle Sadoyan, évoluant dans une scénographie astucieuse de Damien Caille-Perret. Il parvient à rendre lisible, en le démêlant, l'écheveau de la pièce qui, néanmoins, demeure d'une belle et forte facture classique.

Jean-Pierre Han