Regard sur le monde

Jean-Pierre Han

7 octobre 2015

in Critiques

Paradis, impressions par Lucie Valon et Christophe Giordano. Théâtre Paris-Villette jusqu'au 10 octobre à 20 heures. Tél. : 01 40 03 72 23.

Repris avec bonheur cette année, Paradis, impressions de Christophe Giordano et Lucie Valon a été créé il y a trois ans, en 2012 ; il mettait un terme à un cycle débuté en 2006 avec Dans le rouge, poursuivi avec Blank, soit les deux premières étapes d'un voyage calqué sur celui, lointain, de la Divine comédie de Dante. Un triptyque fulgurant qui se permettait, avec pudeur, impertinence et acuité, de parler du monde d'aujourd'hui : un véritable choc.

Parler de reprise à propos de Paradis, impressions n'est à vrai dire pas tout à fait juste, tant la personnalité de l'interprète, Lucie Valon, a en l'espace de si peu de temps mûri. La jeune femme a étoffé son jeu de manière incroyable. C'est d'ailleurs l'ensemble de sa trajectoire, sur un peu moins de dix ans qu'il faut considérer. Dix ans à peine pour trouver ainsi son personnage de clown (apparemment gauche et maladroit et pourtant si touchant), ce n'est pratiquement… rien ! Tant l'élaboration d'un personnage demande persévérance, attention de tous les instants, maîtrise de l'art de l'esquive de toutes les embûches dressées sur son chemin. Tous les praticiens vous le diront qui ont mis des années et des années pour parvenir à leur fin, qui n'ont en fait jamais cessé leur vie durant de perfectionner leur art. À ce compte d'ailleurs Lucie Valon et Christophe Giordano ne mettent pas vraiment un terme à leur voyage dans la Divine comédie. Dante laissé au bord du chemin, ils élaboreront sans doute leur propre parcours, sur d'autres thématiques, ce sera leur propre divine comédie. Entre le spectacle de 2012 et celui d'aujourd'hui, il y a comme une différence de nature. Comédienne de talent, on a pu voir Lucie Valon avec le collectif F71, et plus récemment encore dans la Vie de Galilée de Brecht mise en scène par Jean-François Sivadier dans laquelle elle réalisait un étonnant numéro de clown certes (Brecht, rappelons-le, était un admirateur de Karl Valentin), mais interprétait aussi le rôle de la fille du savant. Ces expériences purement théâtrales ont nourri son personnage de clown. Le résultat est là, d'autant que son entente avec Christophe Giordano est à l'unisson, les deux complices sachant tirer le meilleur d'eux-mêmes. À l'heure des grandes – et parfois interminables – cérémonies théâtrales, le souhait que l'on peut émettre est de pouvoir assister intégralement au triptyque dans sa continuité. Sa véritable dimension se situe bien là.

Jean-Pierre Han