Le magot de la vieille

Jean-Pierre Han

29 août 2015

in Critiques

Frangins de Jean-Paul Wenzel. Mise en scène de l'auteur avec Lou Wenzel. Théâtre du Lucernaire, à 19 heures. Jusqu'au 11 octobre. Tél. : 01 45 48 91 10.

En intitulant sa dernière œuvre Frangins, Jean-Paul Wenzel nous donne pour ainsi dire le la. Celui d'une certaine familiarité d'expression empreinte d'une tendresse à peine dissimulée. Le terme est d'ailleurs carrément émis par les deux premiers protagonistes, des frangins donc, des frérots, au tout début de la pièce lorsque deux des trois frères se retrouvent. "Frangins !" est-il bien lancé avant qu'ils ne se jettent dans les bras l'un de l'autre. Une belle fraternité ? Oui, mais entre hommes, des durs, – – avec l'un d'entre eux, Léo (Jean-Pierre Léonardini) qui a eu une permission de trois jours pour sortir de prison, l'autre, Jipé (Jean-Paul Wenzel), auteur de polars sans doute sanglants –, il n'est peut-être pas aussi facile que cela de l'avouer, question de pudeur. Nous sommes là entre rire et larme, un drôle de registre que le cinéma italien des années 1960 avait coutume de merveilleusement explorer. Et ce n'est pas tout ; c'est la totalité de la fable inventée par Jean-Paul Wenzel que l'on peut placer sous cette bannière du cinéma italien. Avec le troisième frangin, Philippe (Philippe Duquesne), devenu magicien renommé puisqu'il passe à la télé, pour compléter le trio… un peu plus jeune par rapport à ses deux frères, tous ayant l'âge (et le prénom) de leurs interprètes. Ils sont là revenus d'un long voyage dans le temps (ils ne se sont pas vus depuis des lustres), dans la maison de la mère qui suinte la pauvreté. Ils ont été convoqués par un mystérieux sms leur indiquant que la « vieille » était en train de passer… Rudes et pourtant chaleureuses retrouvailles pendant lesquelles entre deux prises de bec et deux bagarres on se remémorera le passé, les amours d'antan avec la belle et généreuse Gaby (Viviane Théophilidès), la disparition du père, la dureté de la mère… le tout fort heureusement tempéré par la jeune et gracieuse Muriel (Hélène Hudovernik), la complice sur scène et dans la vie de Philippe… Ils ont beau jouer les durs à cuire, ils sont venus… et vont apprendre que leur mère avait gagner au loto et avait sans doute planqué l'argent dans sa demeure ; on cherchera donc l'argent de la vieille. Mais l'essentiel est bien ailleurs. Dans la recherche d'un impossible et très touchant dialogue entre les uns et les autres. C'est cousu main par Jean-Paul Wenzel, à l'écriture toujours aussi fine et subtile ; comme il ne voulait pas manquer l'occasion de profiter de la fête auprès de Jean-Pierre Léonardini et de Philippe Duquesne, il s'est écrit son propre rôle qu'il interprète comme il a écrit directement pour ses amis. C'est plus facile ainsi et le sur-mesure fait forcément mouche. Comme il fallait bien un regard extérieur, quelqu'un qui modère et rythme les évolutions du trio, appel a été fait à Lou Wenzel. Lorsque l'ensemble aura pris son rythme de croisière, nul doute qu'il sera bien difficile de résister à ces éternels grands enfants qui s'en donnent d'ores et déjà à cœur-joie.

Jean-Pierre Han