Variations polaires

Jean-Pierre Han

19 juillet 2015

in Critiques

FESTIVAL D'AVIGNON

Fugue. Mise en scène de Samuel Achache. Cloître des Célestins. À 22 heures, jusqu'au 22 juillet. Tél. 04.90.14 14.14.

Plateau du Cloître des Célestins entièrement recouvert de neige (ou ce qui est censé être de la neige), avec dans un coin une petite cahute en bois ouverte aux regards des spectateurs pour abriter des scientifiques venus des quatre coins du monde afin d'étudier les eaux d'un lac enfoui depuis 25 millions d'années ; nous sommes conviés dans la chaleur d'Avignon, à nous perdre dans la blancheur immaculée du pôle sud. On pense immédiatement à Philippe Quesne, mais Samuel Achache et ses camarades assument davantage leur bouffonnerie burlesque que le directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre, car bouffonnerie il y a, et ils ont en outre, quelques petites choses à nous dire, qu'ils ne nous disent pas directement (encore que) mais nous le laissent entendre dans une gestuelle rendue pataude par le froid polaire, et surtout en musique. Car Samuel Achache présente cette particularité d'être musicien et pratiquement musicologue lorsqu'il entreprend dans les textes de présentation (pas sur le plateau heureusement) de nous expliquer le pourquoi et le comment musical de son spectacle au titre parlant, Fugue. Un terme musical que l'on pourrait, que l'on devrait, saisir tout aussi bien dans son sens courant. Il y a en effet de la fugue dans ce spectacle, fugue des personnages, qui fuient et cherchent (c'est leur fonction officielle !) on ne sait trop quoi, leur être profond, l'amour, la vie, la mort… Cette impossible quête est drôle, elle a la délicatesse de ne pas trop se prendre au sérieux, ce qui nous vaut des séquences irrésistibles ponctuées de gags, et surtout elle est entrelacées de musique, lorsque tous les protagonistes, comme saisis d'une envie pressante, se précipitent sur leurs instruments et nous gratifient de morceaux musicaux et de chants du Moyen-Âge et de l'ère baroque, où ils font montre d'une véritable virtuosité. Au violoncelle, à la guitare, à la flûte, au piano, à la batterie, une communauté se reconstitue, balayant au passage les conventions théâtrales. Comédiens accomplis, ils font montre, dans leur accoutrement polaire qui les rend patauds, de la même virtuosité. Ils ont pour nom : Vladislav Galard, Florent Hubert, Léo-Antonin Lutinier, Thibault Perriard et Samuel Achache qui vient prêter main (et souffle) forte à ses camarades, en courant, avec sa trompette. Tous ces acteurs-musiciens entourent et accompagnent Anne-Lise Heimburger époustouflante en chercheuse qui s'est réfugiée au pôle sud après la perte de son grand amour, lequel vient régulièrement la visiter…

Jean-Pierre Han