Impudique pudeur

Jean-Pierre Han

15 juillet 2015

in Critiques

Festival d'Avignon off

Finir en beauté de Mohamed El Khatib. La Manufacture à 12 h 10. Tél. : 04 90 85 12 71.

Que faire ? Comment vivre la perte d'un être cher, en l'occurrence le plus cher d'entre tous, sa propre mère. Question à laquelle se confronte Mohammed El Khatib en sachant très bien que la réponse ne pourra qu'être celle d'un constat d'échec ; il n'y a rien à faire, une impossibilité à dire la douleur qui sera à jamais enfouie mais bien présente dans votre corps. Et pourtant El Khatib, comme sans doute bon nombre d'entre nous, insiste désespérément, et cela donne un objet superbe de retenue, de pudeur… impudique. Cela donne Finir en beauté, un texte et un spectacle qu'il interprète lui-même, où il se met lui-même en jeu dans sa relation avec le public, car l'interlocuteur comme témoin et récepteur de votre parole est ici plus que jamais nécessaire. Mohamed El Khatib est donc sur scène et commence à dire, à raconter, puis à tenter de construire ce qui serait le récit d'une perte, mais pour que la réalité de cette perte soit bien tangible, il a accumulé documents, entretiens, éléments de journal écrits en majeure partie sur des carnets qui sont montrés au public, mails, SMS, vidéos… qui mêlés à ses propres souvenirs et réflexions, forment une formidable matière qu'il gère au mieux, avec subtilité et maîtrise. S'entremêlent alors les éléments d'une vie vécue entre le Maghreb (la famille est originaire du Rif) et la France, entre deux langues, la maternelle l'arabe, et le français…alors qu'une troisième langue, la médicale, viendra bientôt se mêler à elles. Autant de langues, autant d'univers avec leurs codes et leurs paysages propres que l'auteur arpente et embrasse tout à la fois.

20 février 2012, Mohamed El Khetib ne cesse de répéter cette date, celle du décès de sa mère, allant même jusqu'à distribuer aux spectateurs la photocopie de l'acte de décès… puis à reprendre ces deux dates, 1950-2012 : « le tiret » dit-il sépare deux dates. « Pour ma mère par exemple, 1950-2012. Toute sa vie est contenue dans ce tiret ». C'est ce tiret, et son rapport à ce tiret que Mohamed El Khatib, retourne comme un gant pour le vider de sa substance, celle d'une vie, et tenter de nous l'offrir avec une belle et bouleversante maîtrise jamais dénuée d'humour qui est la marque même de la pudeur.

Jean-Pierre Han

Le texte Pièce en un acte de décès à partir duquel Mohamed El Khatib a élaboré son spectacle est publié par L'l édition dirigée par Michèle Braconnier. La publication a l'élégance de la performance de Mohamed El Khatib. Sa réalisation est belle et inventive, rendant ainsi bien compte du propos de l'auteur. 53 pages. Le texte est également publié aux Solitaires intempestifs. 11 euros.