Plaisir utile

Jean-Pierre Han

13 juillet 2015

in Critiques

Festival d'Avignon off

TransFabbrica de Pier Paolo Pasolini, Luigi Nono, Luciano Berio et György Ligeti. Mise en scène de Christine Dormoy. Théâtre du Petit Louvre à 20 h 40. Tél. : 04 32 76 02 79.

C'est une proposition marquée du sceau d'une véritable exigence artistique, ambitieuse donc, que nous proposent Christine Dormoy et sa compagnie Le Grain, ce qui d'emblée distingue leur spectacle de la majorité des autres productions du off et même du in. TransFabbrica porte un étrange et pourtant parlant sous-titre, « Dialogue entre une carpe, un métronome et un couteau », situant la « pièce » dans un registre particulier d'où l'humour n'est pas exclu. Dans un autre document il est précisé qu'il s'agit d'un « Poème dédié à la matière du temps » Pour dire les choses plus prosaïquement il est question de textes de Pasolini tirés de ses Écrits corsaires qui furent longtemps, en France après leur parution en 1976, ses seuls essais que l'on pouvait trouver. Les réentendre aujourd'hui est un réel plaisir sinon une nécessité car ce que dit avec une lucidité inouïe le poète frioulan, sur les cultures de classe de son pays (celle de la classe dominante et celles des classes dominées, ouvrières, paysannes…) dans leur rapport à l'Histoire et au politique avec l'homogénéisation sociale dans les années 1960-1970, s'applique non seulement à l'Italie mais à bien d'autres démocraties européennes aujourd'hui encore comme hier et de manière un peu plus marquée. Christine Dormoy nous restitue cette parole, en l'articulant non seulement avec des œuvres musicales de Luigi Nono, de Berio et de Ligeti, en ajoutant une importante dimension visuelle particulièrement pertinente de Dominique Aru évoquant le monde du travail, celui des ouvriers, projetée sur les panneaux (la scénographie est signée Philippe Marioge) sur lesquels ont été collés une multitude de petites photographies de visages d'hommes et de femmes. Tout l'intérêt et la réussite du spectacle résident dans la forme tressée par Christine Dormoy avec une réelle maîtrise. C'est bel et bien un objet homogène, jouissif et percutant que les trois interprètes, Christine Dormoy donc, la mezzo soprane Isabel Soccoja (en alternance avec Romie Esteves) et le danseur Renouf habillé en bleu de travail, casquette vissée sur le crâne, nous offrent dans une singulière partition qui, à ses mérites propres, ajoute celui de nous rendre familier les œuvres – réputées difficiles parce que cataloguées sous le label de musique contemporaine – du trio formé par Luigi Nono, Luciano Berio et György Ligeti. Les matières, sonore, visuelle, corporelle,… s'interpénètrent (dialoguent entre elles) pour former une nouvelle matière d'une véritable richesse. Une heure (c'est la durée du spectacle) d'une belle intensité.

Jean-Pierre Han