La voix singulière de Patrick Kermann

Jean-Pierre Han

12 juillet 2015

in Critiques

Festival d'Avignon off

The Great disaster de Patrick Kermann. Mise en scène de Anne-Laure Liégeois. La Manufacture, à 10 h 50. Tél. : 04 90 85 12 71.

Le plateau est nu et sans éclairage particulier. Un homme se tient là face au public, immobile. Il ne changera pas de position durant les 55 minutes de son monologue, ouvrant simplement de manière presqu'imperceptible les bras au fil de son récit. C'est une performance rare, d'une intensité sans faille, que réalise le comédien Olivier Dutilloy qui parvient par sa seule présence et la parole à nous captiver. Le souffle de la parole seule, une parole mastiquée, donne vie à son corps apparemment figé, comme tétanisé.



On image aisément le travail de mise en scène d'Anne-Laure Liégeois qui s'est concentré sur la direction d'acteur ; un formidable pari qui emporte l'adhésion et qui refait surgir la voix de Patrick Kermann dans toute sa réelle beauté. Car à réentendre le texte de l'auteur qui s'est donné la mort en février 2000, il apparaît clairement que nous avons perdu une voix essentielles de notre théâtre. De la mort, il est bien sûr question dans The Great disaster créé il y a plus de vingt ans, en 1993 ; elle parcourt tout son texte, comme elle a parcouru toute son œuvre. Ne serait-ce ici que parce que l'argument proposé est celui du naufrage du Titanic le 14 avril 1912 qui fit près de 1500 victimes, surtout parmi les passagers de 3e classe, les démunis de l'entrepont. Reste que l'intelligence dramaturgique de Patrick Kermann consiste à faire raconter (de faire vivre ?) ce naufrage par un italien, Giovanni Pastore, engagé comme plongeur sur le Titanic afin de pouvoir enfin quitter son Frioul natal et émigrer aux États-Unis. Un ancien berger qui refuse d'abandonner son poste auquel il s'accrochera jusqu'au bout de peur de le perdre, lui qui passe son temps à énumérer le nombre de petites cuillères, 3177, qu'il doit laver et essuyer à chaque service… Sa voix venue d'un autre monde vient se mêler à celles des autres passagers du navire, dans le bruissement d'un chant choral polyphonique de toute beauté.

Jean-Pierre Han