La tête pleine de rêves

Jean-Pierre Han

12 avril 2015

in Critiques

Le Cercle des utopistes anonymes d'Eugène Durif. Mise en scène de Jean-Louis Hourdin. Théâtre du Grand Parquet. Jusqu'au 3 mai à 20 heures. Tél. : 01 40 05 01 50.

Il y a une quinzaine d'années j'avais demandé à Eugène Durif d'écrire pour la revue Frictions un texte portant sur le théâtre et le politique. Il m'avait répondu qu'il se sentait dépassé par le sujet et terminait sa lettre (que je repris en guise d'édito !) en précisant que « faute d'un article ”théorique” qui se tienne », il m'envoyait une « entrée de clowns » portant précisément sur la difficulté à écrire sur la question ! Tout Eugène Durif est là. Quinze ans plus tard, après bien des pérégrinations, après moult tournées ici et là loin des projecteurs de la mode ambiante, après de nombreuses entrées de clowns, et maints autres très beaux textes, pas forcément théâtraux, nous y revoilà. Pour notre plus grand plaisir. Eugène Durif n'écrit toujours pas de texte « théorique qui se tienne » sur le sujet de la politique, mais il ne cesse de creuser le même sillon qui n'en est guère éloigné, et qui même, à mes yeux, en est sans doute la véritable matière. Le voici donc aujourd'hui dans une sorte de spectacle-cabaret ou spectacle à sa manière non spectaculaire, « théâtre musical » comme il est dit, à aborder avec pudeur, tact, drôlerie, et quand même pointes acérées, l'utopie. Nous voici donc dans Le Cercle des utopistes anonymes en compagnie de Pierre-Julien Billon, musicien, bruiteur, habitué des pistes de cirque, fausse raideur lunaire calculée, avec Stéphanie Marc dont depuis le temps (de nos vingt ans ?) je me demande encore comment les grandes stars de la mise en scène, quels que soient leurs registres de jeu, ne l'ont pas encore repérée (tant mieux d'ailleurs), avec Eugène Durif himself, qui habite la scène à sa manière faussement tranquille, s'y déplace à petits pas, la bedaine et la besace pleines de mots, de citations, Proudhon, Nietzsche, Jean-Pierre Brisset et de nombreux autres, mais les siens avant tout, pour nous développer en faux dialogues et en vraies chansons ses pensées sur l'utopie. Un voyage immobile au cœur du fatras théâtral (avec ses petites tentures rouges, et ses accessoires pauvres mais essentiels sur un plateau, etc.), une quête de l'impossible guidée par un autre membre éminent et indispensable du cercle des utopistes, Jean-Louis Hourdin. Eugène Durif avait bien raison : seules les clowns, impénitents voyageurs immobiles ou non, mais la tête pleine de rêves, sont en capacité d'approcher le mystère politique.

Jean-Pierre Han