Un superbe récital

Jean-Pierre Han

14 mars 2015

in Critiques

Le Vent dans la bouche de Pierre Baux et Violaine Schwartz. Comédie de Reims, du 7 au 17 avril 2015. Tél. : 03 26 48 49 00.

Puisqu'il est question de la chanteuse réaliste Fréhel, grande rivale de Damia à son époque, autorisons-nous à parler de récital. Récital il y a donc, mais c'est un récital du comédien Pierre Baux, simplement extraordinaire dans le spectacle qu'il a conçu avec Violaine Schwartz, Le Vent dans la bouche. Ce qu'il réalise sur le plateau du théâtre du Colombier à Bagnolet également co-producteur du spectacle (précisons-le car enfin il faut bien souligner le travail de l'équipe de ce lieu, et cela sans grand moyen, il va de soi), est prodigieux. On connaissait Pierre Baux pour l'excellence de ses prestations aussi bien chez Ludovic Lagarde, que chez Célie Pauthe, Jacques Nichet et quelques autres, on ne l'avait encore jamais vu avec cette maestria déclinant toute la gamme des registres de jeu existant, passant avec bonheur d'un personnage à un autre (homme ou femme), les interprétant pratiquement en même temps, toujours dans le même tempo, le tout avec une maîtrise absolue. Pierre Baux n'aurait pu faire étalage de tout son talent s'il n'avait pu s'appuyer sur une partition elle aussi remarquable. Il y a, à la base de ce spectacle, le livre écrit par Violaine Schwartz, son deuxième après le singulier et très personnel La Tête en arrière paru en 2010, autour de la personnalité de la chanteuse Fréhel. J'emploie volontairement le terme de personnalité pour ne pas parler de biographie (relativement peu connue par ailleurs), car Violaine Schwartz procède d'une manière particulière pour évoquer la figure de la chanteuse, créatrice de la fameuse Java bleue, au destin plutôt sombre. Elle refuse de suivre la chronologie habituelle, et invente un autre personnage, lui aussi haut en couleur, la présidente de l'association des amis de Fréhel, ne cessant d'interpeller le Président, l'autre, celui à la tête de l'État, pour obtenir le transfert de la dépouille de l'intéressée dans un cimetière intra-muros, à Montmartre… Il faut souligner la qualité et l'originalité de l'écriture de Violaine Schwartz, et Pierre Baux qui a adapté avec elle le roman à la scène, a tout loisir de s'appuyer sur elle, de se l'approprier avec une réelle gourmandise. Violaine Schwartz et Pierre Baux, ensemble, ont conçu un travail théâtral d'une réelle intelligence, inventant avec Thomas Costerg la scénographie adéquate. Dès lors le spectacle peut se dérouler sur plusieurs niveaux ; celui de l'évocation de la vie fracassée de Fréhel, celui de la fiction permettant de l'évoquer, celui enfin du pur jeu théâtral. On est gagnant à tous les niveaux. Le spectacle s'achève ce soir au théâtre du Colombier avant de partir pour le CDN de Reims, il serait réellement dommage qu'il en reste là.

Jean-Pierre Han

Le Vent dans la bouche de Violaine Schwartz a paru chez P.O.L. éditeur.