Désespérant "Platonov"

Jean-Pierre Han

16 janvier 2015

in Critiques

Platonov de Tchekhov. Création collective dirigée par Rodolphe Dana. Théâtre national de la Colline, jusqu'au 11 février, puis tournée. Tél. : 01 44 62 52 52.

On comprend aisément que Platonov, toute première œuvre du jeune Tchekhov qui était encore lycéen à l'époque de sa rédaction fascine à ce point les gens de théâtre ; on discerne en effet dans ce texte tous les thèmes, les situations dramatiques et même les traits de personnages que l'on retrouvera dans ses futurs chefs-d'œuvre. S'agissant d'une pièce-fleuve, chacun peut en outre proposer sa propre version en taillant à sa guise dans le corpus textuel. Ce que ne manquent pas de faire Rodolphe Dana et Katja Hunsinger du collectif Les Possédés dont le spectacle dure tout de même trois heures trente (sur les six de l'intégralité) et qui se sont cru obligés de « rajouter » quelques répliques de leur cru pour se raccorder à notre temps, ce dont ils auraient pu se passer. La pièce, telle quelle, nous parle en effet directement de notre humanité, celle de l'époque de l'auteur tout comme celle d'aujourd'hui, une humanité en plein désarroi dans une société en voie de décomposition, sans qu'il soit besoin de surligner artificiellement cette analogie. C'est au milieu de cette société que le personnage principal, Platonov, autrefois jeune homme promis à un bel avenir a désormais fait le deuil de toute ambition, et se contente de son petit poste d'instituteur rural. Lui reste toutefois son aura auprès des femmes, mais ne sachant dire non à aucune d'entre elles il navigue de l'une à l'autre de manière pathétique et désespérée. Un désespoir qui par instants frise le comique voire le ridicule. C'est d'ailleurs toute la pièce qui oscille entre le tragique et le comique en flirtant avec le mélodrame. Une pièce étrange si l'on veut bien considérer que le personnage autour duquel tout se noue est pour ainsi dire un personnage négatif, en creux, anti-héros par excellence, ce sont tous ceux qui l'entourent et le fréquentent – tous médiocres et d'un ennui mortel – qui lui confèrent son statut de trublion et de provocateur.

C'est paradoxalement un rôle écrasant que celui de Platonov ; ici, dans une scénographie qui respecte à la lettre les didascalies de Tchekhov, c'est Rodolphe Dana lui-même, qui endosse les habits du personnage qui fait parfois penser au Baal de Brecht. Il le fait malheureusement avec des semelles de plomb. Lui aussi semble dépassé par les événements, tout comme d'ailleurs la majorité de ses camarades de plateau qui dessinent les personnages jusqu'à la caricature plus qu'ils ne les interprètent ou les vivent. Leur constant sur-jeu dans une mise en scène convenue agace très vite. Il n'y a guère qu'Emmanuelle Devos, dans le rôle d'une veuve de général désargentée, à jouer avec justesse et grâce. À elle seule elle ne parvient toutefois pas à tirer la représentation hors d'une certaine platitude. La première réalisation du collectif des Possédés, Oncle Vania de Tchekhov, il y a plus d'une dizaine d'années, avait laissé espérer de leur part une meilleure appréhension de l'auteur russe.

Jean-Pierre Han

Platonov, version intégrale traduite par Françoise Morvan et André Markowicz. Les Solitaires intempestifs, 2004. 392 pages.