Douce dérive

Jean-Pierre Han

22 décembre 2014

in Critiques

Nuits blanches d'Haruki Murakami. Mis en scène d'Hervé Falloux. Théâtre de l'Œuvre à 19 heures. Tél. : 01 53 88 88.

Comment faire coexister le monde réel avec le monde surnaturel, celui de l'imaginaire ? Telle semble bien être l'une des problématiques majeures de l'œuvre du romancier japonais Haruki Murakami qui ne s'est pas fait faute ces derniers temps d'aller explorer le monde surnaturel, surtout dans son grand succès 1Q84. Cette question est d'ailleurs clairement posée dans Nuits blanches tirées de sa nouvelle Sommeil, que la comédienne Nathalie Richard interprète sous la direction d'Hervé Falloux. Et c'est de cela dont il s'agit dans ce texte transposé avec une extrême fidélité au théâtre. Soit une jeune femme qui, entre son mari, un dentiste qui fait son chemin dans l'exercice de sa profession, et son enfant qui commence à avoir certains traits de ressemblance avec son père, mène une vie bien réglée et sans histoire. Passent les jours et les heures jusqu'à ce que la jeune femme, une nuit, finisse par perdre le sommeil. Commence alors pour elle, une douce dérive, sans que physiquement elle ressente la moindre fatigue, au contraire, une sorte de bien-être semble l'habiter alors qu'elle passe désormais son temps à lire et relire Anna Karénine de Tolstoï en buvant un verre de Rémy Martin ou en mangeant du chocolat, elle qui ne buvait pas et ne mangeait plus de chocolat depuis son mariage ! À la lumière de cette « autre » vie, celle qu'elle menait dans le monde réel prend alors une autre coloration, pas franchement merveilleuse ; mari et fils perdant du même coup tout intérêt. Le récit est raconté par la jeune femme ; on aura compris que le spectacle ne tient que par la présence et la subtilité du jeu de la comédienne. Nathalie Richard y fait merveille distillant avec maîtrise et rigueur, qui n'excluent en rien une certaine grâce, le poison de l'imaginaire rendant ainsi justice à l'écriture même de Murakami.

Jean-Pierre Han

Sommeil d'Haruki Murakami. Traduction de Corinne Atlan. Illustrations de Kat Menschik. 80 pages. 2010.