Chronique scénographique de Jean Chollet

Jean-Pierre Han

9 décembre 2014

in Chroniques

Buchettino en position couchée.

Plasticien, scénographe, le metteur en scène italien Roméo Castellucci est une des figures marquantes de la scène européenne contemporaine. S’inscrivant dans une filiation avec le « théâtre de la cruauté » d’Antonin Artaud, il s’est fait connaître en France lors du Festival d’Avignon 1998 avec Giulio Cesare issu d’une libre adaptation de la pièce de Shakespeare. Depuis, il compte à son actif de nombreuses créations, attestant de sa maîtrise scénique, de son sens de l’image et du son, associant les formes artisanales aux nouvelles technologies. Avec une radicalité parfois dérangeante, comme cela a été le cas en 2011 avec Sui concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu) qui a provoqué les réactions violentes et inconsidérées des catholiques intégristes. Si, aux yeux de certains il apparaît comme un provocateur, il œuvre aussi dans un autre registre, beaucoup moins connu. Avec sa compagnie, la Societas Raffaello Sanzio, créée en 1981 à Cesena en Émilie du Nord, avec sa sœur Claudia, et Chiara et Paolo Guidi, il pratique le théâtre pour enfants à travers ateliers et spectacles. C’est d’ailleurs dans ce registre qu’ils réalisent en 1992 leur première création Les Fables d’Esope, suivie l’année suivante de Hansel et Gretel. Actuellement, une reprise de Buchettino en tournée en France permet d’appréhender un de ses aspects scénographiques. Il s’agit d’une adaptation du conte de Charles Perrault, Le Petit Poucet.

Quel que soit le lieu d’accueil, elle se situe dans une chambre en bois itinérante montée par l’équipe technique de la compagnie, dans un espace abrité pour la durée des représentations. À l’intérieur, cinquante lits d’une personne sont répartis de part et d’autre d’une étroite allée centrale. Les uns posés au sol, les autres sur deux niveaux superposés disposés en périphérie de la salle. La literie est complète, matelas, draps, couverture, oreiller, et les spectateurs sont invités à prendre place, sur ou dans ces lits, en fonction de leur choix. Une première mise en situation adaptée à la représentation… et non pas faite pour favoriser les somnolences observées parfois dans d’autres lieux. Elle répond surtout à un souhait de relâchement du corps en rupture avec la réalité quotidienne, dans une forme d’abandon propice à l’écoute. Sous la seule lumière d’une simple ampoule avec abat-jour, une comédienne prend place sur une chaise sur l’un des côtés de l’allée. Livre ouvert, elle commence le récit, rejoignant la tradition orale du conte, et semble répondre à la demande : « raconte-moi une histoire ». Tour à tour, narratrice ou interprète d’intonations vocales des différents personnages évoqués par Perrault. Cette évocation trouve un prolongement sonore avec des sons enregistrés ou des bruitages effectués en direct, qui semblent venir de l’étage supérieur de la chambre en faisant vibrer ses parois. Dans l’association de ces différents éléments, la Societas Raffaello Sanzio (mise en scène Chiara Guidi, scénographie et ambiance sonore, Roméo Castellucci, adaptation Claudia Castellucci) répond en premier lieu au souhait souvent formulé, mais pas toujours réalisable pour des raisons techniques ou budgétaires, d’offrir un espace adapté à chaque création, en instaurant un rapport optimisé du public à la représentation. D’autre part, comme souvent dans les spectacles de la compagnie, l’action théâtrale passe par une expression sensorielle, forgée ici par un univers sonore, qui contribue à nourrir l’imaginaire, dans une dimension subversive de l’enfance. Les petits et grands enfants spectateurs semblent ravis de l’aventure vécue … et ressentie.