La Folie Macaigne

Jean-Pierre Han

6 novembre 2014

in Critiques

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer d'après Dostoïevski. Mise en scène de Vincent Macaigne. Nanterre-Amandiers jusqu'au 14 novembre à 19 h 30. Tél. : 01 46 14 70 00.

Comment faut-il prendre le dernier spectacle de Vincent Macaigne avec sa compagnie Friche 22.66, d'après L'Idiot de Dostoïevski, dont il avait déjà donné une première version en 2009 ? Prendre est d'ailleurs un terme impropre tant ce qu'il vient de nous présenter au Théâtre de la Ville il y a un mois avant de s'installer aujourd'hui aux Amandiers de Nanterre, nous happe avec une violence inouïe et nous saisit à la gorge pour ne plus nous lâcher pendant les trois heures trente de la durée de l'objet. On ressort de là, hagard, assommé avant de retrouver un brin de lucidité prélude à une certaine perplexité. Oui, comment considérer cet objet (j'insiste sur le terme) ? Comme un manifeste ? Celui d'un jeune homme que le cinéma puis une autre adaptation théâtrale présentée au Festival d'Avignon en 2011, Au moins j'aurais laissé un beau cadavre d'après Hamlet, ont fait connaître d'un plus large public que celui de 2009 ? Auquel cas on comprend aisément la virulence de son propos, une virulence et une violence qu'il dit avoir trouvées dans le roman de l'auteur russe. « Mon spectacle n'arrive pas à la cheville de la violence du roman de Dostoïevski. C'est un roman d'une violence inouïe ». Sauf que l'on pourra toujours arguer que la violence qui s'exprime à travers la littérature n'est pas forcément tout à fait la même que celle que l'on trouve sur un plateau de théâtre. Question plateau d'ailleurs Macaigne en remodèle la traditionnelle configuration en faisant démarrer son spectacle dès le hall d'entrée du théâtre, dans ce qu'il aimerait être déjà le bruit la fureur, en invitant des spectateurs à monter sur scène boire gratuitement une bière (les autres peuvent venir se servir et retourner à leur place), rester là un bon moment presqu'au milieu de l'action, mais quand même au bord, avant de s'en aller discrètement se rasseoir… Barrière entre scène et salle comme abolie, même si, très poliment, le premier rang de spectateurs se voit offrir une toile de plastique pour se protéger des déjections provenant du plateau... Mais tout cela n'est que l'écume des choses, si je puis me permettre cette métaphore. C'est bien sûr ailleurs qu'il faut tenter de trouver l'essence et l'enjeu de la représentation (car il y a quand même représentation, n'est-ce pas ?). Dans la volonté acharnée de vouloir parler du monde d'aujourd'hui en passe d'abandonner tout ce pour quoi il s'était battu. Un monde au bord de la rupture, en train de basculer dans la barbarie. Publié en feuilleton en 1869 le roman de Dostoïevski annonçait en quelque sorte l'avènement de l'ère du capitalisme. Quel type de société ou de catastrophe annonce Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer ? C'est la volonté de Vincent Macaigne d'œuvrer dans le registre de cette interrogation et ce n'est pas un hasard si dans le deuxième partie du spectacle apparaissent sur des écrans de télévision les figures de Nicolas Sarkozy, puis de François Hollande ; on ne saurait être plus naïvement clair. Sans doute trouvera-t-on le terme plutôt étrange en tout cas décalé, mais il est vrai qu'à certains égards il y a de la naïveté, j'y reviens, dans ce spectacle. Ne serait-ce déjà que dans la volonté de provocation (rien n'est d'ailleurs plus difficile que d'œuvrer au cœur du public et dans mes souvenirs je ne vois guère que le public de l'Orlando furioso présenté jadis par Luca Ronconi pour avoir été ainsi saisi par la violence de la scène, par son côté « tauromachique » pour reprendre une comparaison utilisée par Macaigne), comme dans toutes les autres propositions scéniques, pas forcément très novatrices, mais qu'importe. On arrive dès lors très vite à une sorte de saturation sonore (des boules quiès sont distribuées aux spectateurs avec le programme !) et visuelle. En un mot dans ce grand bric-à-brac théâtral trash on trouve de tout, le pire comme le meilleur, en toute sincérité. Chacun pourra y trouver son compte, sauf peut-être les inconditionnels de Dostoïevski. En tout cas, un grand coup de chapeau aux huit acteurs (Dan Artus, Servane Ducorps, Thibault Lacroix, Pauline Lorillard, Emmanuel Matte, Rodolphe Poulain, Thomas Rhatier et Pascal Reneric qui interprète le rôle-titre du prince Mychkine) qui assument avec une énergie sans faille cette folie furieuse traversée de quelques éclairs théâtraux apaisants.

Jean-Pierre Han