Un ''Tartuffe'' de plus

Jean-Pierre Han

5 octobre 2014

in Critiques

Tartuffe de Molière. Mise en scène de Galin Stoev. Comédie-Française. Jusqu'au 17 Février 2015, en alternance. Tél. : 0 825 10 16 80.

Tartuffe, nous dit-on, est la pièce la plus jouée dans la Maison de Molière. Et peut-être même ailleurs. Après la version de Luc Bondy l'année dernière, la voici entre les mains du bulgare Galin Stoev (chouchou de nos scènes nationales ; il y est très régulièrement invité), en attendant le regard aigu de Benoît Lambert le mois prochain. Autant de Tartuffe, autant d'interprétations radicalement différentes les unes des autres. Que l'on se souvienne, pour ne prendre que deux exemples parmi des dizaines d'autres, de celui d'Ariane Mnouchkine replaçant la pièce dans le contexte de fanatisme religieux d'aujourd'hui ; que l'on songe à la dernière mise en scène de la pièce au Français, signée Marcel Bozonnet, alors administrateur de la maison, et attribuant le rôle d'Orgon à Bakary Sangaré, un acteur noir… Alors Galin Stoev ? Et bien, que l'on se rassure, sa mise en scène est on ne peut plus sage, presque lisse diront les méchantes langues, ce qui n'est pas tout à fait juste, classique si l'on veut faire preuve de mansuétude. Son propos ? La pièce, rien que la pièce, au plus près du texte. Soit, si l'on veut. Avec la représentation d'une famille au bord de l'implosion, et surtout une relation du couple Orgon-Tartuffe pour tout dire assez neutre. Entre les deux hommes il ne se passe, à vrai dire, pas grand-chose, et l'on a un peu de mal à saisir la fascination qu'exerce le deuxième sur le premier. Question de distribution sans doute. Avec la surprise du rôle de Tartuffe attribué à Michel Vuillermoz refrénant au mieux sa tendance naturelle à jouer de manière truculente, et devenant du coup d'une rigueur extrême, voire d'un sinistre si accompli que l'on se demande comment il a pu subjuguer Orgon à ce point. Comme si cela ne suffisait pas il est accompagné d'un assistant encore plus sinistre et effrayant que lui ! Quant à Orgon, premier grand rôle de Didier Sandre au Français, il est d'un classicisme à tout crin, avec une tendance quand même à en faire parfois un peu trop, par rapport à ses camarades de plateau. Entre les deux hommes le contraste est parfait ; pas sûr qu'ils forment un couple idéal pour la pièce. C'est d'autant plus regrettable que les autres rôles de la pièce sont plutôt bien distribués. Avec surtout Elsa Lepoivre dans le rôle d'Elmire, la femme d'Orgon, objet de la concupiscence de Tartuffe, et Anna Cervinka, une révélation, dans celui de Mariane promise par son père à l'imposteur… En fait cette mise en scène de Galin Stoev, plutôt classique donc, joue sur un certain nombre de contrastes. Décor et costumes ne nous l'indiquent guère : à quelle époque se situe l'action proposée ? On évolue dans une intemporalité étonnante, avec des costumes « d'époque » et d'autres sans âge. Et pourquoi avoir ainsi habillé Dorine (Cécile Brune) comme sa maîtresse (Elsa Lepoivre) ? Qui est qui, maître ou serviteur ? Même intemporalité avec Orgon et son costume blanc-cravate. Quant au décor, signé Alban Ho Van, il semblait intéressant dans la mesure où un jeu de miroirs permettait au spectateur de voir ce qui ne lui était pas montré, l'antichambre où se trament les affaires. Malheureusement, une fois ces miroirs installés, le metteur en scène ne s'en sert absolument pas. Même étrange mélanges contrastés au niveau du son… Il y a, indéniablement, dans ce travail soigné quelque chose de volontairement composite qui n'apporte pas vraiment un regard neuf sur la pièce.

Jean-Pierre Han