Le soleil noir de la Sicile

Jean-Pierre Han

12 juillet 2014

in Critiques

Festival d'Avignon

Le Sorelle Macaluso d'Emma Dante. Gymnase du lycée Mistral, à 15 heures, jusqu'au 15 juillet. Tél.: 04 90 14 14 14.

L'idée de jeter sur le plateau sept jeunes femmes, sept sœurs, et leurs parents dans une chronologie bouleversée – espaces imaginaires et temps mêlés – pour évoquer la réalité palermitaine dans ses racines les plus profondes est belle et juste. Emma Dante, l'une des figures de proue du théâtre italien qui est revenue vivre et travailler dans sa ville natale il y a une quinzaine d'années sait de quoi elle parle et est à même de rendre compte de cette réalité. Elle le fait dans des termes qui sont fort heureusement aux antipodes de tout réalisme, en véritable poétesse de la scène. Aux antipodes de tout réalisme puisque c'est une réalité intérieure qu'elle entend saisir et montrer sur le plateau nu, une réalité brassant intimement et dans un même élan tout ce qui est de l'ordre de la vie et de la mort. Réalité familiale et condensé de toute une société en perpétuel conflit, ce que nous montre Emma Dante à partir et autour d'un événement traumatique, la mort accidentelle, par noyade, d'une des filles lors d'un jeu d'enfant, est chorégraphié au sens propre du terme, puis joué avec une efficace radicalité. Pas de fioriture, mais des mouvements et des déplacements simples, comme l'alignement des comédiennes face au public ou leurs allées et venues du fond du plateau vers l'avant-scène et inversement, le tout accompagné par des anecdotes parlantes comme celle concernant le père de famille condamné à nettoyer la merde pour gagner quelque sous – car « la merde ne connaît pas la crise » est-il précisé – pour tenter de nourrir sa famille. Le spectateur se retrouve avec Le Sorelle Macaluso comme devant un théâtre de marionnettes (la gestuelle des comédiennes nous y renvoie ainsi que l'agencement scénographique avec ses objets et accessoires) ; c'est drôle, âpre, incisif, entre rire et larmes – le tragique peut aussi se parer des habits de la bouffonnerie –, cela vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Mais c'est bien à une analyse spectrale (éminemment théâtrale) de la société sicilienne à laquelle nous sommes conviés.

Jean-Pierre Han