Au plus profond des corps et des consciences

Jean-Pierre Han

20 juin 2014

in Critiques

Tel que cela se trouve dans le souvenir de Tarjei Vesaas. Mise en scène d'Étienne Pommeret. Théâtre de l'Échangeur à Bagnolet. Jusqu'au 28 juin, à 21 heures. Tél. : 01 43 62 71 20.

À voir et partager avec Étienne Pommeret ce moment rare et intense que nous offre son dernier spectacle, Tel que cela se trouve dans le souvenir de l'auteur norvégien Tarjei Vesaas qu'il a déjà fréquenté, on a presque envie de renvoyer le lecteur à sa présentation de sa compagnie « C'est pour Bientôt ». Jamais en effet note d'intention n'a été aussi juste, aussi bien respectée, à la lettre près. Jamais note d'intention ne nous a aussi bien parlé, comme nous parle la majorité des réalisations d'Étienne Pommeret, presque toujours de réels petits bijoux, et Tel que cela se trouve dans le miroir en est véritablement un. « Produire, créer, diffuser des spectacles de théâtre issus de textes français et étrangers, contemporains ou non qui présentent la part universelle des hommes. Créer le moment unique où acteurs et spectateurs sont pris dans la même spirale : représenter le vivant, créer sur scène de la vie, de la sur-existence. Émouvoir, bouleverser par le rire. Surprendre la part invisible de l'homme, jouer, imaginer », etc. On ne saurait mieux dire. Et c'est tout cela, selon chaque formulation, que crée le spectacle d'Étienne Pommeret à l'Échangeur de Bagnolet. Rien d'étonnant à cela pour peu que l'on connaissance, même partiellement, le travail de l'acteur-metteur en scène qui s'est déjà confronté aux écritures de Büchner, Dostoievski, Kafka, Jon Fosse et quelques autres de la même teneur qualitative. Ce n'était pas un hasard si l'on se remémore qu'il a débuté sa carrière avec l'Association notoire auprès d'autres fous de textes rares, ses trois compères, Thierry Bedard, Alain Neddam et Marc François… Comédien de talent, il a, entre autres, travaillé avec Claude Régy qui, de son côté, a récemment mis en scène La Barque le soir de Tarjei Vesaas, titre de l'ouvrage d'où Étienne Pommeret a extrait le texte de son spectacle. Le travail de Claude Régy frôlait la perfection ; dès lors on pouvait légitimement se poser la question de savoir comment Étienne Pommeret pourrait s'écarter de sa manière de traiter la prose si particulière de l'auteur et faire œuvre originale. Il nous apporte une splendide et forte réponse, alors que la première image semble au contraire nous mettre dans les pas de Claude Régy, les deux interprètes, Étienne Pommeret soi-même que l'on est heureux de revoir sur scène et Anthony Breurec, immobiles de part et d'autre de la petite toile imaginée par Jean-Pierre Larroche posée au centre du plateau nu, et lançant leurs premières répliques. L'image figée n'est qu'une… image qui va bientôt s'animer de la meilleure des manières, dans une déambulation, un rapprochement-éloignement des deux corps des interprètes, échangeant, ou émettant simplement les paroles du père et du fils, avec un troisième « personnage » absent mais si présent, un cheval. Et le mauvais temps, et la neige, et cette forêt de sapin… et la mort qui travaille tous les corps surgiront alors dans le vaste espace de l'Échangeur. C'est admirable parce que les deux comédiens sont dans une justesse de jeu étonnante, dans une relation affectueuse qui ne dit pas son nom, qui s'exprime dans une économie de gestes, mais dans une affirmation spirituelle d'une netteté cinglante. « Réunir des hommes par ce qui nous dépasse », telle est la dernière phrase de la note de présentation de la compagnie citée un peu plus haut. C'est très exactement ce qui s'est passé le soir de la première avec un public dans un état d'écoute assez exceptionnel dont le mérite revient entièrement à l'équipe de « C'est pour Bientôt ».

Jean-Pierre Han

La Barque le soir de Tarjei Vesaas, traduit par Régis Boyer est publié chez José Corti.