Travail d'orfèvre

Jean-Pierre Han

11 mai 2014

in Critiques

Passion simple d'Annie Ernaux. Mise en scène Jeanne Champagne. Théâtre du Lucernaire à Paris, jusqu'au 7 juin à 18 h 30. Tél. : 01 45 44 57 34.

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Lectrice attentive et passionnée, Jeanne Champagne a coutume de se confronter aux écritures les plus subtiles et les plus fortes de notre littérature pas seulement théâtrale. Rien d'étonnant si après des grands classiques de la scène comme Kleist, Brecht ou Handke, elle s'est à plusieurs reprises confrontée à des écrivains comme George Sand, Agota Kristof, Marguerite Duras, Charles Juliet ou encore Annie Ernaux. Elle a justement, la saison dernière, créé un triptyque composé de textes d'Annie Ernaux, Marguerite Duras et Pascal Quignard. Belle idée tournant autour de la thématique de la chambre, le réceptacle de tous les secrets intimes. Le spectacle s'appelait La Chambre, le jour, la nuit, et était passionnant. Elle reprend aujourd'hui le premier volet de ce triptyque, Passion simple d'Annie Ernaux. Saisi seul le projet d'ensemble s'évanouit forcément. Reste néanmoins un beau moment de théâtre qui met en valeur la superbe et apparemment très simple, elle aussi, écriture d'Annie Ernaux que Jeanne Champagne connaît parfaitement pour l'avoir fouaillée à maintes reprises. Inutile de s'appesantir sur les étapes de cette passion qu'Annie Ernaux décrit dans son style si particulier, avec une précision et une simplicité très travaillées qui mettent une sorte de distance entre la narratrice et l'objet étudié, l'absolu de la passion. À la « simplicité » de l'écriture – parlons plus noblement de son extrême dépouillement – correspond la simplicité de la mise en scène de Jeanne Champagne – deux trois images projetées, quelques notes de musique, le tout dans le dépouillement travaillé de Gérard Didier – et du jeu de Marie Matheron qui tient son registre, entre présence et absence, avec grâce et une sensibilité maîtrisée. Pas facile, en effet, d'interpréter ce qui se situe entre le récit et le jeu, que ce soit au niveau de la gestuelle, ou au niveau de l'émission de la parole, loin de toute dramatisation excessive et bien sûr de tout pathos. Jeanne Champagne et Marie Matheron s'en sortent avec honneur, et l'on ne peut que souhaiter revoir les autres volets de la trilogie, et même, plus clairement, souhaiter la revoir dans sa continuité et son intégralité pour vraiment faire sens.

Jean-Pierre Han

Passion simple a paru aux éditions Gallimard