Chronique scénographique de Jean Chollet
Marguerite Bordat créatrice multiforme
Après une formation en arts appliqués, elle aurait pu devenir styliste de mode, si un stage dans une grande maison de couture ne lui avait fait apparaître l’aspect commercial dominant de cette activité. Elle renonce, car son caractère bien trempé ne tolère pas les demies mesures. Une certitude, l’envie de concevoir des images qui stimulent l’imaginaire. Aussi, tout naturellement, se sent-elle attirée par l’univers du spectacle. Sans références théâtrales particulières, Marguerite Bordat entre à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), pour un enseignement en scénographie et costumes, jugé alors « un peu poussiéreux », mais qui lui permet d’engager une réflexion conceptuelle. Lors d’un stage en première année d’étude, elle rencontre Joël Pommerat en création au Théâtre de Fédérés de Montluçon et se sent en osmose artistique et relationnelle avec lui. Intégrée dans la Cie Louis Brouillard, dont le mode de création évolutif dans sa globalité lui convient parfaitement, Marguerite Bordat conçoit la scénographie et les costumes d’une dizaine de créations (de Présence au Petit Chaperon rouge) et s’associe à Pommerat pour les réalisations vidéo. Mais malgré la plénitude artistique rencontrée au sein de cette compagnie, elle éprouve la nécessité d’élargir son expérience vers d’autres univers. Auprès d'Éric Lacascade, avec des costumes pour le théâtre et l’opéra, de Pierre Meunier et la Cie Belle Meunière avec des recherches sur la poésie de la matière, ou Bérangère Vantusso et la Cie Trois Six Trente pour la scénographie, la sculpture et la réalisation de marionnettes ou d’accessoires, et la mise en œuvre d’expositions. Depuis quelques années, elle apporte son concours aux créations de l’auteur-metteur en scène Pierre-Yves Chapalain, animateur de la Cie Le Temps qu’il Faut. Leur premier spectacle, La Lettre donne le ton de leur association dans une relation avec le conte moderne d’une saga familiale, qui croise nécessairement le réel avec l’onirique mystérieux d’un monde disparu. Pour concilier ces deux univers, nécessité il y a d’évacuer le réalisme et l’illustratif. C’est ce qu’il apparaît, à partir de l’installation de chaises usagées issues d’églises ou d’habitations portant traces de vies et d’histoires, tandis qu’en arrière-plan un monticule d’autres chaises contribue à l’entrée en scène des comédiens et offre une relation symbolique propre à ouvrir l’imaginaire du spectateur. Un témoignage des lignes directrices qui constituent la création de Marguerite Bordat : « Les dispositifs que je propose ne sont pas réalistes mais empruntent souvent leurs signes au réel. J’aime quand l’espace scénique s’invente de façon interactive avec le jeu, la lumière, le son, les costumes et les objets. Il ne trouve pas son aboutissement par la juxtaposition de ce que l’on donne à voir, mais par ce que l’on donne à ressentir ». Mais cette jeune femme ne souhaite pas s’enfermer dans un système, elle demeure ouverte à d’autres expériences qui pourraient lui ouvrir d’autres portes, pas nécessairement au théâtre, dans un accomplissement artistique encore en mutation.
Illustration : Dessin Marguerite Bordat "La Lettre ” de J-Y Chapalain