Violence désamorcée

Jean-Pierre Han

8 avril 2014

in Critiques

Au bord de Claudine Galéa. Mise en scène de Jean-Michel Rabeux. MC 93-Bobigny. Jusqu'au 15 avril . Tél. : 01 44 61 84 85.

Au bord de Claudine Galéa est un texte incandescent écrit dans l'urgence après que l'auteur ait vu la photographie désormais célèbre d'une jeune soldate américaine traînant au bout d'une laisse un prisonnier irakien à terre et dont on ne voit que le torse nu et le visage grimaçant. Cela se passait dans la prison d'Abou Ghraib. L'image d'abord parue dans le Washington Post en 2004 a fait le tour du monde ; elle a hanté les jours et les nuits de Claudine Galéa qui l'a affichée chez elle avant de véritablement s'en emparer et de jeter sur le papier son texte sorti du fond de ses entrailles. Ce texte paraissait deux ans plus tard dans la revue Frictions (n°10, automne 2006), un laps de temps relativement court, mais cependant amplement suffisant pour que l'image ait pu « travailler » en elle qui mêle le politique et l'intime de manière inextricable, faisant œuvre d'une radicalité absolue. Un moment de poésie pure pour reprendre l'expression de Françoise Lebrun…  Jean-Michel Rabeux dont on connaît le goût prononcé pour toutes les expériences « limites » ne pouvait guère passer à côté du texte de Claudine Galéa qui l'éblouit véritablement au moment de sa découverte. Restait à savoir quelle proposition théâtrale il pourrait lui donner. Cela se passe donc dans ce qui est désormais son lieu de représentation, une arène circulaire où évolue sa complice de toujours dans la recherche des limites à outrepasser, Claude Degliame, chargée de porter le texte de Claudine Galéa avec la science (et toutes ses modulations) qui la caractérise. La nouveauté réside ici dans le fait qu'à la comédienne répondent en direct les images que dessine et peint Bérangère Vallet. Entre les mots proférés par Claude Degliame et les images tracées par la plasticienne devrait s'établir un dialogue ; l'idée est belle. Pas sûr toutefois qu'elle soit ici opérante, on assiste plutôt à la lente mise à plat du texte de Claudine Galéa, à telle enseigne que l'on finit par apercevoir ses coutures et parfois ses maladresses pas toujours volontaires. Cette mise à nu du texte ne le sert en aucune manière. Une partie de sa violence s'évanouit, un peu comme une image qui s'effacerait au contact de l'atmosphère… Trop sage et trop respectueux, Jean-Michel Rabeux, qui reste « au bord » du texte ! Voilà sans doute un reproche auquel il n'est certainement pas habitué !

Jean-Pierre Han