Vertigineuses mises en abyme

Jean-Pierre Han

5 avril 2014

in Critiques

Variations sur Hiroshima mon amour de Marguerite Duras. Mise en scène de Patrice Douchet. Le Lucernaire, à 18 h 30. Jusqu'au 26 avril. Tél. : 01 45 44 57 34.

L'originalité et l'intérêt du travail de Patrice Douchet sur la pièce de Marguerite Duras, Hiroshima mon amour, écrite à partir du scénario et des dialogues du film d'Alain Resnais, qui vient de disparaître, est tout entier annoncé dans le titre du spectacle, Variations sur Hiroshima mon amour de Marguerite Duras. On regrettera simplement que l'indication de « variations » soit écrit avec autant de discrétion. Car il est bien question dans le spectacle présenté au Lucernaire de « variations » à partir de ces données, variations infinies ou mises en abyme vertigineuses, il va de soi, mais dont le rôle fondamental ici, est de dévoiler et de mettre au jour une multitude de sentiments qui jouent de la vie, de la mort, et bien sûr de l'amour. Et qui travaillent sur l'un des thèmes essentiels du texte, celui de la mémoire. Que l'on en juge, sans même parler du film d'Alain Resnais et de ce qu'il mettait en jeu à partir de l'écriture de Marguerite Duras, Patrice Douchet il y a près de quinze ans maintenant (en 1998) mettait en scène Hiroshima mon amour avec trois acteurs, Dominique Journet Ramel, Marie Landais et Gilles Dao. Dix ans après cette création, Marie Landais et Gilles Dao disparaissaient de manière tragique à quelques mois d'intervalle. Dans le spectacle d'aujourd'hui Dominique Journet Ramel est désormais seule à assumer la charge du spectacle. Elle le fait de belle et délicate manière, portant en elle la présence et le souvenir de ses camarades de plateau et… d'elle-même, de cette autre elle-même d'il y a quinze ans. Patrice Douchet n'ayant pas, par exemple, hésité à reprendre des documents sonores du spectacle d'autrefois, lors de sa préparation, avec la voix de ses trois interprètes. C'est un spectacle lourd de présences invisibles, plus que des absences, qui se donne ainsi. L'extraordinaire c'est que ce détour personnel et intime rejoint de manière aiguë l'univers même de Marguerite Duras. Patrice Douchet et Dominique Journet Ramel ont le bon goût et l'intelligence de le faire – de réaliser ce voyage dans l'univers de l'auteur et dans le leur – avec une attention d'une extrême délicatesse et avec tous les moyens théâtraux nécessaires, ravivant en nous, spectateurs, nos propres souvenirs.

Jean-Pierre Han