Éternelle jeunesse ?

Jean-Pierre Han

5 avril 2014

in Critiques

Une année sans été de Catherine Anne. Mise en scène de Joël Pommerat. Théâtre de l'Odéon, petite salle Berthier. Jusqu'au 4 mai à 20 heures. Tél. : 01 44 85 40 40.

Le temps de la jeunesse : en mars 1987 Catherine Anne et ses camarades sortis depuis peu, comme elle, du CNSAD créaient au théâtre de la Bastille Une année sans été, sa première pièce publiée (aux Éditions Actes Sud-Papiers), lointainement inspirée des Cahiers de Malte Laurids Brigge et des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. Succès immédiat de cette bande de jeunes comédiens affamés des plateaux, balayant dans un élan irrésistible toute velléité de réticence de la part du public. Un an plus tard, Catherine Anne récidivait, toujours au théâtre de la Bastille, et selon la même formule, avec Combien de nuits faudra-t-il marcher dans la ville ?… Plus d'un quart de siècle s'est écoulé et c'est au tour de Joël Pommerat de s'emparer du succès de Catherine Anne. C'est sa première expérience de travail sur un texte qu'il n'a pas lui-même composé (rectifié et agencé sur le plateau), et cela pour faire acte de transmission, d'accompagnement, dit-il, en mettant en scène une nouvelle génération d'acteurs. La jeunesse toujours. Sauf que pour ce qui le concerne, les années de jeunesse sont passées ; c'est un homme d'âge mûr qui dirige les opérations, voilà qui change totalement la donne. Le regard n'est plus le même. Il y avait, en 1987 osmose entre l'auteur-metteur en scène et ses camarades de plateau. Cette fois-ci c'est le regard d'un homme (et non plus d'une femme) en pleine possession et maîtrise de son art qui nous est offert. Cela se sent, cela se voit. Il y a désormais une distance due à la différence d'âge entre le metteur en scène et ses interprètes. Pommerat fait ce qu'il sait faire à la perfection ; c'est bien son univers que l'on retrouve sur le plateau agencé au millimètre près. Avec la scénographie et les lumières d'Éric Soyer qui évoquent irrésistiblement ceux de La Grande et fabuleuse histoire du commerce, la musique d'Antonin Leymarie, le son de François Leymarie, les costumes et accessoires d'Isabelle Deffin, bref les habituels collaborateurs de la compagnie Louis Brouillard… Avec une direction d'acteurs (toujours sonorisés) impeccable. Reste le texte de Catherine Anne que Pommerat décortique et met véritablement à plat. Du coup les défauts emportés dans la vitalité de l'exécution à la création apparaissent : langage parfois trop fleuri dans la volonté de « bien » écrire, longueurs, explications empiétant sur les silences, autant d'imperfections de débutants. Pourtant les comédiens réunis autour de la figure centrale d'un jeune homme en quête d'un sens à donner à sa vie, Franck Laisné particulièrement convaincant, et autour duquel gravitent trois jeunes femmes, Carole Labouze, Laure Lefort et Garance Rivoal, et un autre jeune homme, Rodolphe Martin, exécutent à la perfection leurs partitions respectives subtiles et délicates. Dans ce sens le pari de Joël Pommerat est plutôt réussi, et nul doute que ces jeunes gens (ou tout au moins certains d'entre eux) viendront grossir les distributions des prochaines productions de la compagnie Louis Brouillard.

Jean-Pierre Han