La fragilité de l'élémentaire

Jean-Pierre Han

22 mars 2014

in Critiques

FoResT. Mise en scène d'Aline Reviriaud et Agnès Célérier. Du 14 mars au 6 avril, Espace Cirque d'Anthony, Théâtre Firmin Gémier/La Piscine, rés. : 01 41 87 20 84. Du 6 au 9 mai aux Scènes du Jura-scène nationale, à Champagnole. Les 18 et 19 mai au Centre culturel Pablo Picasso, à Homécourt. Du 24 au 29 mai, au festival Théâtre en mai, à Dijon. Du 11 au 13 juin, au festival Les Impromptus, à Saint-Denis. Du 5 au 8 août, aux Fondus du Macadam, à Thonon-les-Bains. Entre le 15 et le 22 août, à la Route du Cirque, à Nexon.

Que Jérôme Thomas ait choisi en 1992 d'appeler sa compagnie ARMO – Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets – ne doit rien au hasard. C'est bien un souci de remettre en jeu ses acquis, de se défier du savoir-faire, au risque parfois de créer certaines fragilités, que le jongleur ne cesse d'énoncer dans chacun de ses spectacles. Une obsession que l'on retrouve dans FoResT, nouvelle création mise en scène par Aline Reviriaud et Agnès Célérier. Pour ce spectacle, Jérôme Thomas a réuni à ses côtés l'accordéoniste Jean-François Baëz et la danseuse Aurélie Varrin, deux artistes avec lesquels il a déjà travaillé. Mais il a surtout choisi d'effectuer un retour sous chapiteau, sous son chapiteau, réinvestissant à cette occasion celui où naquit Cirque Lili. Un opus créé en 2001 et dont le succès a largement contribué à la reconnaissance nationale et internationale de la compagnie. Dans cet espace où la circularité est comme dédoublée par une tournette – transformant la piste de cirque en manège – le jongleur et la danseuse vont évoluer en douceur. Là où Cirque Lili s'amusait avec l'histoire du cirque à renfort de visages grimés, de musiques entraînantes et de velours rouge, FoResT se déploie dans une atmosphère feutrée. Prolongeant l'évocation suggérée par le titre, des lumières faibles et chaudes, un espace dépouillé, un sol jonché d'écorces et des costumes simples confortent l'atmosphère sylvestre. Dans ce sous-bois hors du temps, les figures et les numéros se succèdent au rythme de la musique lancinante de Jean-François Baëz, véritable fil rouge du spectacle. De la manipulation de plumes au domptage de sac plastique, de la danse au jonglage, l'ensemble est dominé par la même sérénité. Refusant le spectaculaire, FoResT travaille sur le presque rien, l'élémentaire, l'infime, telle cette danse de doigts effectuée par Aurélie Varrin. Là s'exprime le désir de Jérôme Thomas et de ses acolytes de ne pas se satisfaire de la maîtrise technique et de chercher, à travers les matériaux et les corps, à renouveler l'art du jonglage. Ainsi, lorsque la prouesse surgit, l'épate est assumée : c'est en chaussures noires vernies que Jérôme Thomas effectue un impressionnant numéro de jonglage à plusieurs balles. Tout en soulignant que le jongleur se livre ici à un aspect plus traditionnel de son art, ces accessoires rappellent au passage la position de Thomas. Car bien qu'entouré et accompagné, c'est toujours lui qui mène la danse. Pas facile dans ce cadre pour Aurélie Varrin de trouver sa place ; la danseuse demeure souvent comme sur la réserve. Cette position de retrait, ajoutée à des séquences fragiles où les manipulations s'étiolent sans convaincre, font de FoResT un objet à l'équilibre délicat. Une proposition à l'homogénéité formelle réelle et qui, en étant empreinte d'un désir constant de recherche, donne lieu à des images aux fortunes diverses.

Caroline Châtelet