Exercices de funambules et jongleries verbales

Jean-Pierre Han

10 novembre 2013

in Critiques

The Old woman d'après Daniil Kharms. Mise en scène de Robert Wilson. Théâtre de la Ville (Festival d'automne). Jusqu'au 23 novembre. Tél. 01 42 74 22 77.

Premier acte de la série de manifestations tous azimuts que le Festival d'automne consacre à Robert Wilson, The Old woman d'après l'œuvre de Daniil Kharms, plus communément appelé Daniil Harms en France, se donne en ce moment avec succès au Théâtre de la Ville à Paris. La conjonction de textes tirés de l'œuvre du moderniste russe, créateur avec Alexandre Vvedenski de l'Obériou (Association pour un art réel) fin 1927, avec l'artiste américain, pour être de prime abord surprenant, se révèle néanmoins d'une grande justesse et d'une réelle fécondité. La plupart des écrits de Daniil Kharms non publiés de son vivant, et miraculeusement retrouvés, sont courts, fragmentaires et parfois même inachevés ; Bob Wilson est allé chercher l'une des seules œuvres d'un format un peu plus long, La Vieille composée en 1939, pour immédiatement la redécouper et même intercaler avec l'aide de Darryl Pinckney qui signe l'adaptation, d'autres textes de l'auteur disparu en 1942, après avoir été arrêté un an plus tôt. Ce qu'il nous donne sur le plateau est donc une série de séquences mettant en jeu deux clowns, pas très métaphysiques ceux-là comme chez Beckett, mais peu importe, le compte y est. À savoir l'esprit de l'auteur russe même si, en l'occurrence il est fortement « américanisé ». Deux clowns, lointains cousins de Laurel et Hardy, débitent en se renvoyant la balle des propos où l'absurde est roi. C'est surtout l'occasion pour Bob Wilson fait montre d'un savoir-faire presqu'absolu, à partir de sa gestion de l'espace et de son éclairage très particulier, en tout cas réalisé avec une extrême minutie et maîtrise. C'est un plaisir que de voir évoluer les deux clowns, traits noirs marqués sur leur visage blafard, dans l'univers entre tous reconnaissable de l'artiste américain. Reviennent comme un leitmotiv les quelques lignes concernant The Old woman, la Vieille femme déjà évoquées dans les Écrits de Daniil Harms rassemblés il y a une vingtaine d'années par Jean-Philippe Jaccard, l'un des grands spécialistes de l'auteur. Sans doute n'est-ce pas tout à fait un hasard si la vieille femme de Daniil Harms tient une pendule sans aiguilles : on sait à quel point Bob Wilson est sensible à la question du temps… Il passe cette fois-ci très vite ! Deux sur la balançoire – comme dirait Robert Wise, le réalisateur du film éponyme – ; image se découpant avec une précision diabolique (du Bob Wilson pur jus) sur un fond uni… le plaisir est d'autant plus grand à voir évoluer les deux olibrius, complices dans leur exploration de l'absurde rythmée du tac au tac, et même dansée, que ceux-ci ont pour nom Mikhail Baryshnikov et Willem Dafoe, deux funambules de très haute volée.

Jean-Pierre Han