Le phénomène Angélica Liddell

Jean-Pierre Han

10 juillet 2013

in Critiques

Festival d'Avignon

Ping Pang Qiu d'Angélica Liddell au Gymnase du lycée Mistral à 15 heures et Todo el cielo sobre la tierra dans la Cour du lycée Saint-Joseph à 22 heures. Tél. : 04 90 14 14 14.

Découverte en 2010 avec la Casa de la Fuerza appréciée avec l'exagération qu'engendre le phénomène festivalier, à Avignon en particulier, Angélica Liddell a, depuis, très régulièrement été invitée par le duo Baudriller-Archambault. Rien d'étonnant de la retrouver pour ce qui est le dernier opus programmatique des directeurs. Avec deux spectacles qui sont comme les deux faces d'une même et unique pièce gravitant autour de ce qui a été la révélation de l'artiste espagnole : la découverte de la Chine, avec comme toujours chez elle force détours ici et là pour nourrir et faire vivre cette obsession amoureuse. Ce sont justement ces détours, cette volonté forcenée de vouloir faire sens, parfois même avec une vraie naïveté – notamment dans la dénonciation des méfaits de la Révolution culturelle de Mao dans Ping Pang Qiu, ou l' évocation du syndrome de Wendy, celle de Peter Pan, dans le deuxième spectacle – qui égarent et agacent. Comme si, l'alibi théâtral se situait à ce niveau. Encore qu'à l'inverse, son naturel revenant au galop, elle se permet tout, comme cette succession (une bonne dizaine) de valses effectuées les unes après les autres sans transition par un couple de chinois amateurs sur une musique live composée, paraît-il, par un grand compositeur de musiques de films (on y sent la guimauve) dans Tout le ciel au-dessus de la terre. Comme si ses comparses sur le plateau n'étaient là, en fin de compte, que comme de simples figurants, chargés de nous faire patienter avant le surgissement de la bourrasque, de l'ouragan qui a nom Angélica Liddell, enfin seule sur le plateau et déversant tout (et au-delà !) ce qu'elle a sur le cœur (notamment cette fois-ci l'abhorration des mères pour qui donner la vie procurerait un supplément de dignité…) et dans le corps. Alors ce qui se passe sur scène est simplement phénoménal. Ce que nous assène Angélica Liddell avec une technique, un savoir-faire, une rage extraordinaires mais toujours maîtrisée nous laisse pantois. Et elle poursuit son œuvre destructrice, jusqu'à plus soif : un moment théâtral inouï qu'il faut avoir vu ou plutôt vécu car c'est effectivement "tout le ciel au-dessus de la terre" qui bascule.

Jean-Pierre Han