Ouverture en demie teinte

Jean-Pierre Han

9 juillet 2013

in Critiques

Festival d'Avignon

Par les villages de Peter Handke. Mise en scène de Stanislas Nordey. Cour d'honneur du Palais des papes. À 21 heures, jusqu'au 13 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14

Qu'on apprécie son travail ou pas, force est de reconnaître que Stanislas Nordey possède cette vertu rare d'être un authentique amoureux des grands textes de théâtre. Son parcours de metteur en scène l'atteste, et il en apporte une nouvelle preuve en proposant dans la Cour d'honneur du Palais des papes une interprétation de l'œuvre magistrale de Peter Handke, Par les villages, long poème dramatique composé en 1981 et créé en France en 1983 par Claude Régy. Comme toutes les grandes œuvres Par les villages évolue délibérément aux frontières de son registre artistique et poétique qu'elle ne cesse de vouloir outrepasser et transgresser. Elle fait partie d'une tétralogie dont les autres éléments sont des romans ; on discerne d'ailleurs dans la trame dramaturgique de Par les villages des éléments qui nous renverraient aisément à un ordre romanesque si d'aventure l'écriture et la langue de l'auteur ne venaient y mettre bon ordre pour faire de ce voyage initiatique, de cette quête de sa propre identité, un authentique poème. Dans cette œuvre dramatique donc Peter Handke laisse de côté ce qui fait le commun des pièces de théâtre traditionnelles. Son développement est ici d'un autre ordre. Pas ou peu de dialogues, et pourtant il n'est question que de cela, du désir et de la volonté du personnage principal, un écrivain qui retourne dans le village de son enfance, d'établir une relation depuis longtemps rompue, si tant est qu'elle a jamais existé, avec son frère et sa sœur qui, contrairement à lui n'ont pas fait d'étude et évoluent dans des milieux humbles, ceux des ouvriers et des petits employés, une relation qui passerait par des dialogues, mais ceux-ci à peine ébauchés sont entrecoupés de longs monologues dont certains durent une trentaine de minutes ! Devant cette œuvre monumentale qui traçait des thématiques qui seront reprises plus tard au théâtre (l'évocation du monde du travail par exemple qui sera à la mode dans les années 1990 ; la thématique politique, etc.) et qui bouleversait délibérément les formes théâtrales en ne respectant pas les « règles » de bienséance, de compréhension, d'évolution rapide de l'intrigue – rappelons que le premier texte théâtral de Peter Handke avait pour titre Outrage au public – Stanislas Nordey, à son habitude prend les choses à bras-le-corps en tentant de restituer le texte dans sa littéralité. La question étant de savoir si l'art de la mise en scène est un art de la littéralité. Car c'est bien la question que l'on se pose en voyant son travail dans la Cour d'honneur, lieu qui se révèle être, une fois de plus, un véritable piège, surtout pour une pièce comme celle de Peter Handke qui s'en prend directement aux formes du théâtre traditionnel de son époque. Dans la scénographie d'Emmanuel Clolus avec ses baraquements de chantier et dont on n'est pas certain qu'elle soit vraiment pertinente, Nordey fait évoluer ses interprètes dans le registre qui lui est habituel, marque de son style : déplacements réduits au minimum, jeu à la gestuelle économe et qui se veut d'une grande précision, projection du texte selon une rythmique appuyée, bien articulé jusqu'à la… désarticulation. Tous n'évoluent pas dans ce cadre avec la même docilité. Ainsi une actrice comme Annie Mercier que l'on apprécie par ailleurs se retrouve ici comme en porte-à-faux. Quant aux autres interprètes, Nordey compris, ils ne vivent pas avec la même intensité cette « consigne » de jeu. On ne leur en tiendra pas totalement rigueur car la sonorisation – qui semble être devenue monnaie courante dans tous les spectacles du festival, et sur laquelle il conviendrait de mener une vraie réflexion – qui n'est pas forcément parfaitement maîtrisée, empêche toute véritable modulation de voix, et surtout sollicite et fait intervenir les corps de manière presque dérisoire… dans une intensité pas toujours évidente. Le monologue final d'une trentaine de minutes de Jeanne Balibar, plantée face au public, mains dans les poches de son jean, en est l'illustration parfaite, alors que même sonorisé son texte se perd, incompréhensible, dans la nuit avignonaise… Et pourtant ce pari-là, sur sa durée même qu'il fallait effectivement assumer, était parfaitement légitime et juste. Reste un spectacle hétéroclite avec quelques beaux moments de fulgurance, trop rares cependant pour que l'ensemble soit véritablement passionnant.

Jean-Pierre Han