Logique de l'effroi

Jean-Pierre Han

15 avril 2013

in Critiques

La Pensée de Leonid Andreiev. Mise en scène et interprétation d'Olivier Werner. Présenté à la Fabrique mc11à Montreuil, du 11 au 14 avril, puis à Valence, théâtre des Trinitaires 80, avenue Maurice Faure du 18 au 20 avril, tél. : 04 75 78 30 45. Ensuite à Biarritz au Colisée.

Le docteur Kerjentsev qui a assassiné son meilleur ami, un écrivain à succès qui a épousé la femme qu'il lui avait présentée après l'avoir refusé, est-il fou ? Il est là, enfermé dans sa cellule d'hôpital psychiatrique, et s'adresse à un aréopage d'experts (nous spectateurs ?) chargés de statuer sur son sort. Fou Kerjentsev ? Fou de normalité si on ose dire. Il est là à dévider le récit de son meurtre mûrement prémédité, allant jusqu'à nous offrir une multitude de possibles mobiles : jalousie, humiliation, etc. Mais, bien sûr, ce ne sont là que faux-semblants. Kerjentsev a simulé la folie pour pouvoir accomplir son acte impunément, il veut désormais prouver, une fois enfermé, qu'il est sain d'esprit, et finira par se demander s'il n'a pas tué son ami parce qu'il est réellement fou… Vertige des méandres de la pensée raisonnante, qu'un autre médecin, auteur dramatique, Tchekhov, n'aimait pas. L'auteur, Leonid Andreiev, qui connut son heure de gloire au début du siècle dernier avec sa galerie d'humiliés et d'offensés peuplant son œuvre, s'y entend pour nous embarquer dans sa plaidoirie (il fut avocat) avec une méticuleuse et froide précision. Olivier Werner qui a lui-même adapté la nouvelle, avec l'aide de Galina Michkovitch, joue la partition de La Pensée à la perfection. L'imparable logique du raisonnement du personnage qu'il interprète ouvre sur des gouffres (Le Gouffre est le titre d'un des recueils de nouvelles de l'auteur) qu'un seul mot, un geste vite réprimé ou quelques pas trop précipités dévoilent soudainement. Enfermé dans sa boîte vaguement éclairée par la lumière blafarde de néons, Olivier Werner réalise une performance de tout premier ordre, d'une grande force qui n'exclut pas la finesse, nous renvoyant en fin de compte à une mise en abîme telle que le théâtre aime à mettre régulièrement en œuvre. Cette Pensée serait-elle aussi une métaphore théâtrale ?

Jean-Pierre Han