Un vaudeville revisité

Jean-Pierre Han

9 avril 2013

in Critiques

Le Prix Martin d'Eugène Labiche. Mise en scène de Peter Stein. Théâtre national de l'Odéon. Jusqu'au 5 Mai. Tél. : 01 44 85 40 40.

On laissera aux spécialistes le soin de débattre pour savoir si Le Prix Martin, la pièce de Labiche et la mise en scène de Peter Stein que l'on pourra selon son jugement dissocier, ressortissent au genre du vaudeville ou non. Mais s'il est vrai que tous les ingrédients du vaudeville sont bien là, la pièce en trois actes de Labiche n'en reste pas moins étrangement décalée par rapport au genre et au reste de son œuvre. En effet Le Prix Martin composé en 1876 est l'une des dernières grandes pièces de l'auteur qui, s'il désirait la faire jouer à la Comédie-Française, n'en prit pas moins certaines libertés. Il s'y avance ainsi sans fard, et le regard qu'il porte sur la bourgeoisie de l'époque notamment est encore plus incisif qu'à l'ordinaire. Et ce n'est pas tant la belle mécanique du vaudeville qui l'intéresse ici que la description d'un couple de vieux amis, sorte de Bouvard et Pécuchet, Boubou et Pécuche, décidés à feuilleter ensemble quelques pages du Dictionnaire des idées reçues de la bonne bourgeoisie, et surtout à vivre tranquillement, loin désormais des tracas de la sexualité, à faire leurs petites parties de bésigue. C'est bien cela que dissèque en prenant son temps et avec une jouissive précision Peter Stein dont on admirera la superbe direction d'acteurs, avec le gros et méconnaissable Jacques Weber, tenu comme jamais, et le petit nerveux Laurent Stocker, un couple de comiques (de clowns) pour ainsi dire traditionnels, mais gagnés par une certaine mélancolie dans les montagnes suisses, un couple flanqué d'un domestique, traîne la savate comme on n'en fait plus guère, silhouette hallucinante de Jean-Damien Barbin… Le reste de la distribution, Christine Citti en tête, jouant le jeu à la perfection et dans le même tempo quand même saisi, notamment dans le troisième acte, de folie. Alors on découvrira une écriture d'une belle qualité et aussi certaines répliques étonnantes de l'auteur, un trait de plume à la Daumier, d'une méchanceté rare parce que lucide sur l'état du monde que l'on n'aura garde d'oublier, Jean Jourdheuil, vieux compagnon de route de Peter Stein, revenu comme conseiller dramaturgique du spectacle, étant bel et bien présent dans l'ombre. Une ombre et un clair-obscur qui règnent presque continûment sur le plateau…

Jean-Pierre Han