Un travail subtil

Jean-Pierre Han

2 mars 2013

in Critiques

Visite au père de Roland Schimmelpfennig. Mise en scène Adrien Beal. L'Échangeur à Bagnolet. Jusqu'au 10 mars. Tél. : 01 43 62 71 20.

D'un texte, Visite au père, appartenant à un ensemble intitulé La Trilogie des animaux du dramaturge allemand Roland Schimmelpfennig, le jeune metteur en scène Adrien Beal trouve d'emblée la clé pour nous le restituer dans toute sa complexité. Une complexité pour ainsi dire évidente, car l'auteur, qui fut un temps le dramaturge de la Schaubühne de Berlin alors dirigé par Thomas Ostermeier, s'emploie à superposer différents niveaux de lecture dans sa pièce, faisant presqu'ouvertement référence pêle-mêle à un certain nombre d'auteurs pour lesquels il voue admiration ou détestation, qui, en tout cas, l'ont influencé. On pense en vrac à Pasolini (qu'Adrien Beal connaît bien pour l'avoir déjà mis en scène), Thomas Bernhard, Tchekhov et quelques autres. La compagnie que dirige Adrien Beal se nomme « Théâtre déplié », une appellation on ne peut plus juste ici. La compagnie dépliant ce que Schimmelpfennig que l'on connaît surtout en France pour Une Nuit arabe s'est évertué à ramasser et à nous offrir de manière compacte. Avec Adrien Beal et son équipe toutes les strates du texte de Schimmelpfennig sont ainsi mises au jour, déployées devant nos yeux. La clé, c'est celle d'un espace savamment dénudé par la grâce de la plasticienne Kim Lan Nguyen Thi, éclairé ou plongé dans la pénombre par Anne Muller. Encore fallait-il habiter et gérer cet immense espace de l'Échangeur de Bagnolet ; Adrien Beal y parvient à merveille aussi bien au plan esthétique que dans sa direction des huit acteurs, tous excellents et justes, et l'on ne sétonnera pas de constater que des comédiens chevronnés de la trempe de Christine Gagnieux, Claire Wauthion ou François Lequesne, aux côtés de plus jeunes comme Pierric Plathier ou Julie Lesgages (Bénédicte Cerutti, Charlotte Corman et Perrine Guffroy complètent la distribution) aient pu lui faire confiance. Alors peut se dérouler cette visite d'un tout jeune homme de vingt et un an venu d'un lointain ailleurs, l'Amérique, à son père qu'il n'a jamais connu, vieux traducteur s'acharnant depuis dix ans sur le Paradis perdu de Milton, perdu dans sa vaste demeure décatie, image d'un monde en pleine déréliction, avec et à cause du poids d'un passé insoutenable, comme une faute originelle… Six femmes vont participer à une ronde d'un nouveau type qui s'achèvera dans un accès de violence. On ne peut qu'être saisi au sens propre du terme par ce spectacle qui possède un véritable style.

Jean-Pierre Han