La langue du poète

Jean-Pierre Han

3 février 2013

in Critiques

Partage de midi de Paul Claudel. Mise en scène de Philippe Adrien. Théâtre de la Tempête à 20 heures. Jusqu'au 24 février. Tél. : 01 43 28 36 36.

D'une longue et constante fréquentation de l'univers et surtout du vers claudélien, Philippe Adrien qui, pourtant n'avait jusqu'à ce jour mis en scène qu'une seule pièce du poète ambassadeur – L'Annonce faite à Marie – , tire tout le profit pour nous offrir cette fois-ci un Partage de midi dont on « entend » à merveille la langue. C'est sans doute là, par-delà le travail concret de plateau, le mérite essentiel de sa proposition d'aujourd'hui. La langue de Claudel en effet, dans ce spectacle, claque à merveille au gré de sa rythmique, et nous embarque vers des horizons infinis. On me dira que c'est la moindre des choses, dès lors que l'on s'attaque à une œuvre, et pas seulement Partage de midi, de cet auteur. Soit, mais l'attention de Philippe Adrien me semble ici tout à fait singulière et exceptionnelle. Pour mieux l'envisager d'ailleurs on se reportera utilement à la transcription d'un de ses anciens cours au Conservatoire (CNSAD) repris sous le titre de Parole et vérité dans Instant par Instant paru à Actes Sud-Papiers. La particularité de Partage de midi, l'incandescence de son lyrisme lui doit peut-être beaucoup, vient du fait que la pièce touche l'intime même de l'auteur. La fable qu'il narre, avec ce trio d'hommes – De Ciz, le mari, Amalric l'aventurier et Mesa, le double « passionné » du jeune Claudel – gravitant autour de la personnalité irradiante d'Ysé, la Femme, il l'a pour ainsi dire vécue. C'est « un drame qui n'est autre que l'histoire un peu arrangée de mon aventure » avait-il confié à Francis Jammes, ajoutant à un autre correspondant que « les deux premiers actes de Partage de Midi ne sont qu'une relation exacte de l'aventure horrible où je faillis laisser mon âme et ma vie ». Partage de midi est bien un drame de toutes les passions, ou plus exactement de la passion d'une âme, celle donc du jeune Mesa en route vers la Chine. C'est à bord du grand paquebot qui l'y mène qu'il fera la connaissance d'Ysé et que le drame, d'une intensité inouïe se nouera. N'oublions pas que ce n'est pas tout à fait un hasard si Artaud dans un de ses premiers essais théâtraux avait choisi de monter le troisième acte de la pièce, sans l'autorisation de l'auteur qu'il ne citait d'ailleurs pas… On comprendra que ce drame en trois stations tourne entièrement autour de la figure d'Ysé. Il faut une comédienne d'une force et d'un rayonnement très particuliers pour que la fable puisse se développer. Mila Savic est cette comédienne, même si elle peine un moment, notamment dans le premier acte, avant d'entrer dans le vif du sujet en endossant enfin la personnalité complexe du personnage. Ludovic le Lez (Amalric), Matthieu Marie (De Ciz) et Mickaël Pinelli (Mesa), s'en sortent mieux d'emblée dans des rôles, il est vrai, moins problématiques. Mais tous ensemble finissent, chacun dans son registre, à faire entendre la voix du poète sous la direction toujours subtile de Philippe Adrien.

Jean-Pierre Han

Philippe Adrien profite de l'occasion pour présenter sa réjouissante mise en scène de Protée qui dévoile un autre aspect du génie du même Claudel. Une première mouture en avait été donnée aux journées Paul Claudel à Brangues en juin 2011. Un spectacle à ne pas rater (dates et horaires particuliers).