Marchant sur la tête à belles enjambées...

Jean-Pierre Han

27 janvier 2013

in Chroniques

Difficile de ne pas se retrouver cul par-dessus tronche par les temps qui courent, tant le vent souffle à gros bouillon. L’emballement qui agite notre société sous prétexte d’esprit critique ou de résistance, fait vite marcher sur la tête à belles enjambées.

Et l’on se trouve ainsi éberlué de voir la plupart de nos contemporains se déplacer ainsi, tout du moins, ceux qui s’expriment, le plus souvent haut et fort. Il est bien connu qu’il faut parler haut et fort pour se faire entendre. Chacun rivalise avec gourmandise et aplomb dans cette curieuse posture.

Il s’agit de montrer avec vigueur que l’on est intelligent, pas dupe de la médiocrité dénoncée sur tous les tons et dans tous les sens à l’aide d’une rhétorique tutti frutti qui se veut cinglante, surtout à gauche puisque la droite sans comprendre qu’elle avait perdu les élections s’est désintégrée (ce qui lui pendait au nez depuis 2007, il ne fallait vraiment pas vouloir le voir pour s’en étonner à présent) : dénonciation de solutions archaïques, stigmatisation de formules dépassées, dites « du siècle dernier » (on dit aussi d’un autre âge), manque de courage et de clairvoyance, mollesse irrépressible, reniements inacceptables, communication calamiteuse, insuffisance de mesures qui ne sont pas à la hauteur de la situation (et du XXIe siècle) voyez-vous, projets mal ficelés, amateurisme incroyable, incapacité à la décision ou à donner un cap, compromission avec le diable capitaliste, trahison éhontée, certitude d’aller droit dans le mur, couacs lamentables et divisions à répétition, France détestable, français miteux, sur l’air fameux « n’y a qu’en France » ou encore « la France est le seul pays »... Tout est dit et son contraire. La désillusion s’exprime ainsi bruyamment non sans arrière-pensées électorales peu glorieuses, nourrissant la confusion, certains à droite et à gauche se léchant les babines devant l’échec annoncé pour récupérer bientôt - croient-ils – la cabine de pilotage et la vaisselle cassée).

Ils s’avancent au nom de prétendues cohérences ou pertinences, qui ne sont que des schmilblicks. Cette désillusion procède d’un mouvement d’inversion sans fin qui nous insupporte à la fin. La déception semble paradoxale, car bien des déçus disent ne rien attendre…

A entendre ces opposants de tout bord, il ne semble manquer dans ce paysage qu’un Victor Hugo qui en ait pour écrire une Notre-Dame des Landes : la mère de toutes les défaites, parabole radieuse de notre début de siècle ?

Laissons Victor Hugo, il ne mérite pas l’opprobre d’être mêlé à cela. Pourtant à entendre ceux qui se disent nos hérauts…

Les opposants à l’ayraultport (quel jeu de mot…) ont tagué avec un sens certain de la nuance sur les murs de Nantes : « Ayrault, Notre-Dame des Landes sera ton Vietnam ». Et ajoutent-ils ailleurs ad libitum, « notre Larzac »…

Tout sujet est monté en épingle tordant la mémoire, travestissant l’actualité. Le lecteur et l’électeur en feront facilement la liste jusqu’à la lie, si l’envie leur prend.

La coupe est pleine.

Nous sommes probablement très nombreux, je l’espère tout du moins, à être lassés de ces inversions répétées, de ces coups de boutoir, de ce boulgi-boulga général porté à sa perfection sous le crédit de l’information et du débat. Les approximations et les désinformations sont multiples, largement partagées, de façon accélérée, et c’est à qui fera le bon mot, le meilleur titre, sera le plus malin sous prétexte bien sûr de radicalité, d’acuité, de perspicacité, de scoop. Rares sont les onces de pensée qui peuvent nous éclairer, nous faire réfléchir, nous aider. L’opinion et la société civile ne sont pas exemptes de ces travers, et elles sont enclines à charger de tous les maux la classe politique. La fable de la paille et de la poutre est éternelle : c’est pas moi, c’est l’autre. Et yaka.

Faisons un pari puisque voici la saison des vœux : ce tournicoti surenchéri renversera ceux qui l’alimentent. Certes le pire ne peut jamais être improbable, certes le terrain peut paraître miné, mais tant d’outrance et d’inversion ne peut durer longtemps. Personne ne détient aucune vérité, aucune certitude, et il serait judicieux que presse et opinion fassent preuve de plus de discernement, d’écoute, de réflexion, de mesure plutôt que de céder à des formules à l’emporte-pièce, des titres plus malheureux qu’avisés, qui ne servent à rien d’autre qu’à chercher à se valoriser sans risque et sans panache, sans apporter aucune issue, aucun espoir, aucune lucidité.

Marcel Freydefont

Marcel Freydefont est l'auteur, dans Frictions n°20, de deux articles : "Une poétique scénique" et "Un théâtre du déplacement".