Énigme théâtrale

Jean-Pierre Han

20 janvier 2013

in Critiques

Tristesse animal noir d'Anja Hilling. Mise en scène de Stanislas Nordey. Théâtre national de la Colline. Jusqu'au 2 février 2013. Tél. : 01 44 62 52 52.

Donnée à lire à un groupe de lecteurs du théâtre la Colline, la pièce d'Anja Hilling, Tristesse animal noir, a, paraît-il, suscité beaucoup de controverses. Après avoir vu la mise en scène qu'en donne Stanislas Nordey, on peut aisément comprendre pourquoi. La question qui se pose, en effet, est de savoir ce que vaut réellement ce texte qui se développe dans trois registres d'écriture bien distincts les uns des autres. L'un d'entre eux étant d'ailleurs très volontairement d'une grande platitude sensée refléter la platitude des propos (et des comportements) des six protagonistes, six bobos partis faire un barbecue dans une forêt alors qu'une véritable canicule sévit. C'est presque trop beau pour être vrai, et, bien évidemment, ce qui devait arriver survient, à savoir que la forêt prend feu… ; la tragédie racontée par le menu peut se développer, et l'auteur, dans un troisième et ultime temps, en narrer toutes les conséquences. Si donc controverses il y a eu à la lecture du texte, on comprend en revanche aisément l'enthousiasme de Nordey. Il trouvait dans cette pièce l'équivalent – ou tout au moins la structure dramaturgique pouvant le nourrir – du dispositif scénique dont il use et abuse désormais dans toutes ses mises en scène. Et revoilà donc les comédiens alignés face public sur le devant de la scène proférant chacun à son tour son texte, sorte de longues didascalies et de récits, avant d'ébaucher des dialogues plus que laconiques. Le tout, ici, dans un grandiose déploiement scénographique comme toujours réalisé par Emmanuel Clolus, et qui, d'une certaine manière, prend le relais du traditionnel travail théâtral dans lequel Nordey ne veut pas s'engager. Car, c'est la marotte du metteur en scène ; la parole, rien que la parole, c'est elle qui crée la théâtralité, au point d'ailleurs que dans la troisième partie du spectacle, des micros sur pieds sont installés au vu de tout le monde pour quelques-uns des comédiens. À eux, bien sûr, de faire vivre cette théâtralité, presque sans appui scénique (ou alors avec des appuis réduits à leurs plus simples expressions), a-t-on envie d'ajouter. Il faut bel et bien le génie de Valérie Dréville pour parvenir à résoudre cette gageure ; elle en a certes l'habitude (avec Anatoli Vassiliev ou Claude Régy par exemple), il n'en reste pas moins que durant ce long, bien trop long, parcours il lui arrive d'avoir à quelques rares moments un peu de lassitude, voire un fugace instant de déconcentration. Ses compagnons de plateau la suivent tant bien que mal, chacun à sa manière, parfois trop volontariste, mais n'est-ce pas l'écriture d'Anja Hilling qui induit ce type d'interprétation, sauf à tomber dans le pathos le plus épouvantable ? Une mise en scène d'une autre pièce de l'auteur, Bulbus, avait déjà été présentée au théâtre de la Colline, sans vraiment convaincre qui que ce soit. Plus intéressante avait été la création française de Tristesse animal noir réalisée par Julien Gosselin et le jeune collectif « Si vous pouviez lécher mon cœur » au Théâtre de Vanves, il y a un peu plus d'un an. Le mystère Anja Hilling demeure donc.

Jean-Pierre Han

Anja Hilling : Mousson ; Tristesse animal noir, traduit de l'allemand par Silvia Berutti-Ronelt. Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez. 180 pages, 18 euros.