Disparition de Joaquim Benite, créateur d’un théâtre du monde

Jean-Pierre Han

9 décembre 2012

in Chroniques

Joaquim

Directeur du festival et de la compagnie de théâtre d’Almada metteur en scène, homme d’engagement, Joaquim Benite vient de s’éteindre à deux semaines de la création de Timon d’Athènes (Shakespeare). Il portait cette pièce comme elle le portait pour son retour au plateau tant attendu après une longue année de lutte contre la maladie. Sa disparition laisse des proches, des amis, un public sonnés, bien au-delà des frontières du Portugal qu’il a totalement déplacées. En donnant à la fois une visibilité internationale aux compagnies portugaises, consacrées ou émergentes, et en introduisant le premier dans un pays alors très clos, un large éventail des langages esthétiques et artistiques de la création mondiale.

Joaquim Benite incarnait le projet de théâtre le plus utopique et le plus ambitieux du pays, né des bouleversements et des transformations sociales de la révolution d’avril 1974. Antifasciste et militant communiste actif, il voulait résolument faire du théâtre populaire et quitta Lisbonne pour s’enraciner dans sa banlieue ouvrière, de l’autre côté du Tage. « Je pense qu’il est bon d’aller vers les périphéries », disait-il, « pour des raisons autant esthétiques que civiques ». Cette exigence du renouvellement de la création, de la production d’esthétiques hors calibrages, il l’appliquait aussi à la programmation d’un festival qui aura toujours mis à l’affiche les plus grands noms du théâtre mondial (les dénichant souvent en avant-première) et de jeunes compagnies privées de tout réseau de diffusion qu’il prenait le temps de découvrir avec générosité.

À Almada, utopie d’un théâtre du monde, les artistes invités n’oublieront jamais l'hospitalité et la considération qu’on leur a toujours témoigné quelle qu’ait été leur position dans la hiérarchie sociale du théâtre.

Le public n’oubliera jamais la façon dont il a été traité, en étant au centre du dispositif d’accueil, de critique, de prise en compte. Personne n’oubliera la vivacité intellectuelle et la convivialité des rencontres et des débats que Joaquim Benite inspirait, porté par l’ambition de substituer à un « théâtre de consommateurs » un « théâtre de citoyens  » dont l’élaboration pour lui était toujours à remettre sur le métier.

Marina Da Silva